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Full text of "Poésies de André Theuriet, 1860-1874: Le chemin des bois. - Le bleu et le noir"

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ExJ^ris 


PROFESSOR  J.S.WILL 


POÉSIES 


DE 


ANDRE   THEURIET 


1860  —  1874 


Le  Chemin  des  Bois.  —  Le  Bleu  et  le  Noir. 


PARIS 

ALPHONSE   LEMERRE,   ÉDITEUR 

27-31,     PASSAGE    CHOISEUL,     27-3! 


M    D    CCC     LXXX 


POESIES 


S£ 


ANDRÉ  THEURIET 


Il  a  ttc  tiré  de  ce  livre  : 

2)  exemplaires  sur  papier  de  Hollande. 
25  —  sur  papier  Je  Chine. 

Tous  ces  excniplaires  sont  numérotes  et  paraphés 
par  l'éditeur. 


POÉSIES 


DE 


ANDRE   THEURIET 


1860  —  1874 


Le  Chemin  des  Bois.  —  Le  Bleu  et  le  Noir, 


PARIS 
ALPHONSE    LEMERRE,    ÉDITEUR 

27-51,     PASSAGE     CHOISEUL,      27-5I 
M    P    CCC    LXXIX 


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LE 


CHEMIN  DES  BOIS 


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'DE'DICuACE 


AU  X  hois  !  —  Aux  lois  de  mon  pays, 
Dont  on  voit  les  sombres  lignes, 
Futaie  épaisse  ou  clair  taillis, 

Bleuir  au-dessus  des  rimes  ; 

Aux  hois,  oit  travaillent  campés 

Dans  les  gorges  éloignées, 
Les  hi'icherons  aux  cœurs  trempés 

Comme  le  fer  des  cognées; 

Aux  grands  hois  oii  de  mes  amours 

Dorment  les  chères  reliques. 
Parmi  les  mousses  de  velours 

Et  les  fleurs  des  véroniques  .'... 

Aux  lois  /...   Un  vent  de  liberté 
Y  souffle  à  travers  les  chênes  ; 

L'âme  y  ravive  sa  fierté 

Blessée  aux  luttes  humaines. 


LE     CHEMIN    DES    BOIS. 


Les  frais  sentiers  de  l'Idéal, 

C'est  aux  lois  qu'on  les  retrouve, 

Près  de  la  source  oii,  matinal, 
Le  ramier  soupire  et  couve. 

Le  chant  divin  de  l'Oiseau  hleu. 

C'est  aux  lois  qu'on  croit  l'entendre, 

Quand  le  coucou,  comme  un  adieu. 
Dit  son  refrain  grave  et  tendre. 

La  vie  emplit  les  bois  profonds  : 

rieurs,  oiseaux,  souffles  d'air  libre, 

Cœurs  aimants,  travailleurs  féconds, 
Aux  bois  tout  palpite  et  vibre. 

Aux  bois  émus,  aux  bois  baignés 

De  rosée  et  de  lumière, 
J'offre  mes  vers  tout  imprégnés 

De  la  senteur  forestière. 


l^ 


^ 


EN   FORET 


Le    Retour    au    bois. 


LA  prison  où  Jean-Marc,  le  fier  coupeur  de  chênes, 
Rongeait  son  frein  depuis  six  mortelles  semaines. 
Vient  d'ouvrir  ses  verrous. 
Il  bondit  à  l'air  libre,  il  semble  avoir  des  ailes, 
Tant  il  court...,   et  les  clous  de  ses  lourdes  semelles 
Sonnent  sur  les  cailloux. 


Six  semaines  sans  voir  sa  forêt  bien  aimée, 

Six  semaines  d'ennuis  pour  deux  brins  de  ramée 

Pas -plus  gros  que  le  bras  !... 
Il  sourit  de  pitié,  puis  il  se  hâte  encore. 
Les  3'eux  toujours  fixés  vers  les  grands  bois  que  dore 

Le  couchant,  tout  là-bas. 


Li;    CHEMIN    DES    BOIS. 


U  arrive.  La  lune  au  mcme  instant  se  lève. 
Pendant  qu'il  languissait  dans  sa  prison,  la  sève 

A  rompu  les  bourgeons. 
La  forêt  maintenant  est  dans  toute  sa  gloire, 
Partout  des  rameaux  verts,  pas  une  branche  noire; 

Partout  nids  et  chansons  1 

11  siffle  un  air  de  fétc  en  s'enfonçant  dans  l'ombre. 
Et  dans  l'épais  taillis,  des  rossignols  sans  nombre 

Répondent  à  sa  voix. 
Il  grimpe,  ivre  de  chants  et  d'odeurs  printanières, 
Sur  un  hêtre  géant  dont  les  branches  dernières 

Dominent  tout  le  bois. 

Le  voilà  se  berçant  dans  l'arbre  qui  s'incline  1 
L'air  de  la  nuit  de  mai  dilate  sa  poitrine 

Et  court  dans  ses  cheveux  ; 
Le  ciel  est  sur  sa  tête,  et  sous  ses  pieds  murmure 
Et  mollement  frissonne  une  mer  de  verdure 

Aux  flots  mystérieux. 

De  légères  vapeurs  glissent  sur  les  clairières, 
Et  la  lune  répand  sur  les  champs  de  bruyères 

Des  nappes  de  clarté. 
— ■  Hurrah  !  —  Sa  voix  s'envole,  et  dans  l'azur  sans  voiles 
On  dirait  qu'on  entend  monter  jusqu'aux  étoiles 

Sou  cri  de  liberté. 


LES     CHERCHEUSES    DE    MUGUET. 


Les   Chercheuses   de   muguet. 


A  André  Levioyne. 


LA  mère  et  son  enfant  s'en  vont  par  les  futaies. 
La  mère  écoute  et  fait  le  guet, 
Et  l'on  voit  son  sein  hâve  et  maigre,  sous  les  plaies 

De  son  corsage  de  droguet  ; 
Tête  nue  et  pieds  nus,  l'enfiint,  d'un  air  sauvage, 
La  suit,  et  toutes  deux  rôdent  sous  le  feuillage 
En  cherchant  des  fleurs  de  muguet. 

Des  muguets  !...  pour  les  vendre!  Au  fond  de  leur  demeure 

Tout  est  vide  :  huche  et  grenier; 
Il  ne  reste  au  logis  qu'un  nourrisson  qui  pleure 

Dans  son  étroit  berceau  d'osier. 
La  ville,   où  tout  se  vend,   leur  paiera  ces  fleurettes. 
A  l'œuvre  donc  I   muguets  aux  mignonnes  clochettes. 

Répandez-vous  dans  leur  panier  I 

2 


10  LE     CHEMIN     DES    BOIS. 

A  travers  les  fourrés  et  les  herbes  mouillées 

Elles  p.isscnt,  les  pieds  en  sang... 
Cependant  le  soleil  glisse  sous  les  feuillées, 

Mj'stérieux  comme  un  amant 
Qui  visite  en  secret,  le  soir,  son  amoureuse; 
Tout  scintille,  les  fleurs  et  la  mousse  soyeuse... 

Que  leur  fait  le  soleil  levant? 

Toujours  plus  loin,  toujours,  par  la  chaleur  croissante. 

Elles  marchent,  courbant  le  dos. 
Et  la  mère  parfois  gronde  l'enfant  trop  lente 

Q.ui  s'attarde  au  bord  des  ruisseaux... 
Les  nids  sont  pleins  de  joie  et  de  battements  d'ailes, 
Tout  chante:  rossignols,  loriots,  tourterelles... 

Qiie  leur  fait  le  chant  des  oiseaux  ? 

Elles  iront,  au  soir,  quand  l'ombre  emplit  les  rues. 
Vendre  leurs  bouquets  aux  passants, 

Et  les  garçons  rêveurs,  et  les  filles  émues 
Par  les  haleines  du  printemps, 

Sentiront  tout  à  coup,  dans  leur  cccur  qui  s'ignore. 

De  l'amour  nouvesu-né  vibrer  la  voix  sonore, 
Au  frais  parfum  des  muguets  blancs. 

Les  vieillards,  à  l'aspect  de  la  fleur  priiitaniérc, 
Croiront  voir  dans  un  bleu  lointain 

Les  fantômes  riants  de  leur  jeunesse  entière 
Passer  en  se  donnant  la  main  ; 


LES     CHERCHEUSES    DE    MUGUET.  Il 

Et  les  penseurs  épris  des  beautés  éternelles 
Retrouveront  au  fond  de  ces  calices  frêles 
Les  empreintes  du  doigt  divin. 

Tous  aux  muguets  de  mai  devront  une  belle  heure. 
Une  heure  de  rêves  sans  prix... 

—  La  mère  et  son  enfant  gagneront  leur  demeure 
En  rongeant  un  rude  pain  bis, 

Et,  seules  dans  leur  chambre  humide  et  délabrée, 

Elles  recompteront  d'une  main  enfiévrée 
Leurs  sous  tachés  de  vert-de-gris. 

Puis  toutes  deux,  sans  autre  espoir  que  les  tortures 

Et  les  dégoûts  du  lendemain, 
Sans  autre  souvenir  que  les  âpres  morsures 

Des  ronces  barrant  le  chemin. 
Elles  s'endormiront,  avides  d'une  trêve, 
Avides  d'oublier  dans  un  sommeil  sans  rêve 

Les  angoisses  d'un  jour  sans  pain. 


12  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 


L'Alouette. 


A   Madame  Pauline  de  Sainhris. 


LE  jour  commence  à  peine  à  blanchir  les  collines, 
La  plaine  est  grise  encor; 
Au  long  des  prés  bordés  de  sureaux  et  d'épines, 

Le  soleil  aux  traits  d'or 
N'a  pas  encor  changé  la  brume  en  perles  fines  ; 

Et  déjà,  secouant  dans  les  sillons  de  blé 

Tes  ailes  engourdies, 
Alouette,  tu  pars,  le  gosier  tout  gonflé 

De  jeunes  mélodies, 
Et  tu  vas  saluer  le  jour  renouvelé. 


LALOUETTE.  IJ 


Dans  l'air  te  balançant,    tu   montes  et  tu  chantes, 

Et  tu  montes  toujours. 
Le  soleil  luit,  les  eaux  frissonnent  blanchissantes  ; 

Il  semble  qu'aux  entours 
Ton  chant  ajoute  encor  des  clartés  plus  puissantes. 

Plus  haut,  toujours  plus  haut,  dans  le  bleu  calme  et  pur 

Tu  fuis  allègre  et  libre  ; 
Tu  n'es  plus  pour  mes  yeux  déjà  qu'un  point  obscur, 

Mais  toujours  ta  voix  vibre  ; 
On  dirait  la  chanson  lointaine  de  l'azur. 

O  charme  aérien  !. . .  Alouette,  alouette, 

Est-ce  du  souffle  heureux 
Qui  remue  en  avril  les  fleurs  de  violette, 

Ou  du  rythme  amoureux 
Des  mondes  étoiles,  que  ta  musique  est  faite  ? 

Pour  qui  l'écoute,  un  jour  de  réveil  printanier, 

Lorsque  la  feuille  pousse. 
Elle  a  de  ces  accents  qu'on  ne  peut  oublier  ; 

Moins  exquise  et  moins  douce 
Est  la  framboise  mûre  aux  maro;es  du  sentier  ; 

Moins  vive  l'eau  jaillit  dans  la  roche  creusée, 

Où  le  martin-pêcheur 
Baigne  l'extrémité  de  son  aile  irisée; 

Moins  fine  est  la  senteur 
De  la  reine-des-prés,  moins  fraîche  est  la  rosée. 


14  Lli     CHEMIN'    DES    BOIS. 

Tout  s'éveille  à  ta  voix  :  le  rude  laboureur 

Qui  pousse  sa  charrue, 
Le  vieux  berger  courbe  qui  traverse  rêveur 

La  grande  friche  nue, 
Se  sentent  rajeunis  et  retrouvent  du  cœur. 

Sur  tes  ailes  tu  prends  les  larmes  de  la  terre 

A  chaque  aube  du  jour, 
Et  des  hauteurs  du  ciel,  par  un  joyeux  mystère 

Tu  nous  rends  en  retour 
Des  perles  de  gaité  pleuvant  dans  la  lumière. 

Imité  de  Shelley. 


LA    CHANSON    DU     VANNIER.  I  ", 


•  La    Chanson    du   vannier. 


A   Alphonse  Le  me  r  r  e. 


B. 


►  rins  d'osier,  brins  d'osier, 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  v.innicr. 


Brins  d'osier,  vous  serez  le  lit  frêle  où  la  mère 
Berce  un  petit  enfant  aux  sons  d'un  vieux  couplet 
L'enfant,  la  lèvre  encor  toute  blanche  de  lait, 
S'endort  en  souriant  dans  sa  couche  léafère. 


l6  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Brins  d'osier,  brins  d'osier. 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


Vous  serez  le  panier  plein  de  fraises  vermeilles 
Que  les  filles  s'en  vont  cueillir  dans  les  taillis. 
Elles  rentrent  le  soir,  rieuses,  au  logis. 
Et  l'odeur  des  fruits  mûrs  s'exhale  des  corbeilles. 


Brins  d'osier,  brins  d'osier. 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


Vous  serez  le  grand  van  où  la  fermière  alerte 
Fait  bondir  le  froment  qu'ont  battu  les  fléaux, 
Tandis  qu'à  ses  côtés  des  bandes  de  moineaux 
Se  disputent  les  grains  dont  la  terre  est  couverte. 


Brins  d'osier,  brins  d'osier, 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


Lorsque  s'empourpreront  les  vignes  à  l'automne, 
Lorsque  les  vendangeurs  descendront  des  coteaux, 
Brins  d'osier,  vous  lierez  les  cercles  des  tonneaux 
Où  le  vin  doux  rougit  les  douves  et  bouillonne. 


LA    CHANSON     DU    VANNIER.  I7 

Brins  d'osier,  brins  d'osîer, 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


Brins  d'osier,  vous  serez  la  cage  où  l'oiseau  cliante, 
Et  la  nasse  perfide  au  milieu  des  roseaux, 
Où  la  truite,  qui  monte  et  file  entre  deux  eaux, 
S'enfonce,  et  tout  à  coup  se  débat  frémissante. 


Brins  d'osier,  brins  d'osier, 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


Et  vous  serez  aussi,   brins  d'osier,  l'humble  claie 
Où,  quand  le  vieux  vannier  tombe  et  meurt,  on  l'étend. 
Tout  prêt  pour  le  cercueil.  —  Son  convoi  se  répand, 
Le  soir,  dans  les  sentiers  où  verdit  l'oseraie. 


Brins  d'osier,  brins  d'osier. 
Courbez-vous,  assouplis  sous  les  doigts  du  vannier. 


l3  1  E     CHEMIN     DES     BOIS. 


Le    Rossignol. 


LES  nuits  ticdes  sont  revenues. 
Dans  le  bois  qui  bourgeonne  cncor, 
A  travers  les  feuilles  menues, 
Là-haut,  tremble  la  lune  d'or. 

Les  pleurs  muets  de  la  rosée 
Baignent  les  fleurs  au  ras  du  sol, 
lit  dans  l'air  comme  une  fusée 
Monte  le  chant  du  rossignol. 

J'écoute,  et  noyé  dans  l'extase, 
Comme  un  philtre  je  bois  le  son... 
Mon  cœur  traduit  phrase  par  phrase 
La  voluptueuse  chanson  : 


LE    ROSSIGNOL. 


«  Au  creux  des  aubépines, 

Loin  des  j-eux  indiscrets, 
Garnis  de  mousses  fines. 
Les  nids  sont  déjà  prêts. 

K  Sur  eux  les  jeunes  branches 
Forment  un  dôme  vert  ; 
Les  muguets  ont  ouvert, 
En  bas,  leurs  cloches  blanches. 

«  Pour  les  frêles  œufs  gris 
La  couche  est  préparée... 
Sous  les  rameaux  fleuris, 
Viens,  ô  ma  préférée  ! 

«  Amour  !  amour  !  amour  ! 
Les  heures  sont  propices  ; 
Vois  :  chatons  et  calices 
Éclosent  à  l'entour. 

«  La  nuit  est  claire  et  douce, 
Pourquoi  tarder  encor? 
Viens,  le  chaud  nid  de  mousse 
Attend  son  trésor...  » 


20  LE     CHEMIN    DES    BOIS. 


Il 


ET  pendant  que  resonne,  au  creux  de  l'aubépine, 
L'amoureuse  chanson, 
Les  désirs  renaissants  qui  gonflent  ma  poitrine 
Chantent  à  l'unisson. 

En  voyant  le  printemps,  jeune  roi  plein  de  grâce. 

Venir  avec  sa  cour, 
J'avais  aussi  gardé  dans  mon  cœur  une  place. 

Un  doux  nid  pour  l'amour. 

J'avais  tout  disposé  pour  mieux  lui  faire  accueil; 

Mes  plus  tendres  pensées 
En  frais  vêtements  blancs  se  tenaient  sur  le  seuil, 

Comme  des  fiancées. 

Et  dès  le  mois  d'avril,  quand  je  vis  accourir 

La  première  hirondelle, 
Qjiand  je  vis  les  sureaux  du  jardin  se  couvrir 

D'une  robe  nouvelle  ; 

Debout  sur  le  coteau,  comme  Iléro  sur  sa  tour. 
Tremblant,  j'attendis  l'heure 

Où,  franchissant  la  plaine  et  la  forêt,  l'amour 
Viendrait  dans  ma  demeure... 


LE    ROSSIGNOL.  21 


De  volupté  le  monde  entier  semble  imprégné, 

Et  moi,  j'attends  encore. 
Et  bientôt  les  chers  œufs  dans  le  nid  dédaigné 

Ne  pourront  plus  éclore. 

Et  mai,  ceint  de  lilas,  poursuit  à  travers  bois 

Sa  course  triomphante, 
Et  les  astres  là-haut  palpitent  à  la  voix 

Du  rossignol  qui  chante... 

O  rossignol  charmeur,  les  airs  passionnés 

Que  ton  gosier  module, 
Les  bourgeons  verts,  l'odeur  des  muguets  nouveau-nés, 

Tout  ce  printemps  nie  brûle  ! 

Dis,  toi  qui  sais  l'amour...  M'a-t-il  abandonné? 

Fuit-il,  et  ma  jeunesse 
Est-elle  un  seuil  sans  hôte,  un  logis  ruiné 

Qui  croule  et  qu'on  délaisse?... 


22  LE    CHEMIN    DES     BOIS. 


Chant    de    noces    dans   les    bois. 


POUR  les  grands  bois,  ensemble, 
Partons  au  jour  naissant. 
Et  choisissons  un  tremble, 
Un  tremble  verdissant... 
Qja'il  soit  svelte  et  superbe. 
O  ma  brune  aux  yeux  bleus, 
Abattons-le  dans  l'herbe, 
A  nous  deux. 

Il  craque,  il  penche,  il  plie... 
Victoire  !...  11  est  tombé. 
Vite,  une  bonne  scie 
De  clair  acier  trempe  ; 
De  la  racine  aux  branches. 
Dans  le  tronc  vigoureux 
Coupons  de  minces  planches, 
A  nous  deux. 


CHANT    DE    NOCES    DANS    LES    BOIS.       23 

Avec  les  planches  blondes 
D'où  la  sève  jaillit, 
Pour  nos  noces  fécondes 
Construisons  un  doux  lit. 
La  mousse  fine  pousse 
Autour  des  saules  creux  : 
Emplissons-le  de  mousse, 
A  nous  deux. 

Puis  avec  la  ramure 
Préparons  un  berceau 
Tapissé  de  verdure, 
Frais  comme  un  nid  d'oiseau. 
Pour  la  couche  légère,- 
Pour  l'oreiller  moelleux 
Tressons  de  la  fougère, 
A  nous  deux. 

Voilà  la  couche  prête, 
Voilà  l'enfant  venu... 
Dans  la  barcelonnette 
Il  s'endort  demi-nu. 
Berçons,  berçons  ensemble 
Le  mignon  aux  yeux  bleus, 
Qiii  sourit  et  ressemble 
A  nous  deux. 

Imite  d'une  chanson  lithuanienne. 


24  LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 


Le   Coucou. 


LE  bois  est  reverdi, 
Une  lumière  douce 
Sous  la  feuille,  à  midi, 
Glisse  et  dore  la  mousse. 
On  dirait  qu'on  entend 
Le  bourgeon  qui  se  fend 
Et  le  gazon  qui  pousse. 

Sur  le  bord  des  étangs 
Où  tremblent  les  narcisses, 
Les  trèfles  d'eau  flottants 
Entr'ouvrcnt  leurs  calices. 
Piverts  et  grimpereaux 
Meurtrissent  des  bouleaux 
Les  troncs  pâles  et  lisses. 

La  fiuivettc  au  buisson 
Murmure  une  romance, 
Courte  et  leste  chanson 


LE    COUCOU. 


25 


Qui  toujours  recommence. 
Verdiers,  pinsons,  linots, 
Merles  et  loriots, 
Répondent  en  cadence. 

O  pénétrante  voix 
De  la  saison  bénie  ! 
Partout  vibre  à  la  fois 
La  tendre  symphonie; 
Tout  s'égaie  aux  entours. 
Les  bois  sont  pleins  d'amours. 
De  fleurs  et  d'harmonie. 

Mais  dans  la  profondeur 
Du  taillis  qui  bourdonne, 
Comme  un  écho  pleureur 
Une  note  résonne  : 
Du  coucou  désolé 
C'est  l'appel  redoublé, 
La  plainte  monotone. 

Quand  les  nids  en  émoi 
Tressaillent  d'allégresse, 
Savez-vous,  dites-moi, 
Pourquoi  cette  tristesse  ? 
Pourquoi  ce  long  soupir 
Qui  semble  toujours  fuir. 
Et  qui  revient  sans  cesse?... 


20  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Des  saisons  d'autrefois 
Et  des  morts  qu'on  oublie, 
Mes  amis,  c'est  la  voix 
Dans  l'ombre  ensevelie  ; 
Au  soleil,  à  l'air  bleu, 
Elle  envoie  un  adieu 
Plein  de  mélancolie. 

Elle  dit  :  «  Rameaux  verts, 
Songez  aux  feuilles  sèches  ! 
Blondes  filles  aux  chairs 
Roses  comme  les  pèches. 
Amoureux  de  vingt  ans. 
Enivrés  de  printemps, 
Songez  aux  tombes  fraîches  ! 


LA   vr.ii.Li;E.  27 


La  Veillée. 


A   Alexandre   Picilagncl. 


LA  nuit  est  noire.  A  tout  instant 
La  forêt,  prise  d'épouvante, 
Tord  ses  grands  bras  verts.  On  entend 
Dans  les  feuilles  l'eau  ruisselante. 

Au  logis  du  vieux  braconnier 
Tout  est  clos.  —  Les  lils  et  le  père, 
Suivis  d'un  maigre  lévrier. 
Sont  à  l'aU'ùt  dans  la  clairière. 


28  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Un  enfant  dort  dans  son  berceau, 
A  coté  du  lit  de  l'aïeule  ; 
Assise  et  filant  au  fuseau, 
La  jeune  fille  veille  seule. 

La  lampe  au  lumignon  tremblant 
Faiblement  éclaire  une  joue, 
Un  coin  d'oreille  et  le  cou  blanc 
Où  le  lourd  chignon  se  dénoue. 

Elle  est  belle.  Son  sein  d'enfant, 
Son  sein  tiède  parfois  palpite  : 
Est-ce  la  peur,  l'air  étouffant, 
Ou  bien  l'attente  qui  l'agite?...  - 

La  porte  glisse  sur  ses  gonds, 

Et  la  rafale  pluvieuse 

Pouss;  un  jeune  homme  aux  cheveux  blonds 

Dans  la  chambre  silencieuse. 

La  fileuse  lui  tend  les  bras  : 

«  O  mon  amour  !  ô  Madeleine  !  » 

—  «  Marchez  tout  doux,  parlez  tout  bas! 

Ma  grand'mère  s'endort  à  peine.  » 

Près  de  la  vitre,  assis  tous  deux. 
Ils  causent.  La  fillette  essuie 
Sur  le  front  de  son  amoureux 
Les  froides  larmes  de  la  pluie. 


LA   VEILLÉE.  29 


«  Je  t'aime,  ô  chère  enfant  I  »  —  «  Et  moi  ! 
A  rêver  de  vous,  moi,  je  passe 
Les  jours  et  les  nuits.  Ah  1  pourquoi 
Êtes-vous  fils  d'un  garde-chasse? 

Plus  haut,  plus  grand  que  la  foret, 
Entre  nous  deux  un  mur  se  dresse, 
Et  mon  père  me  maudirait 
S'il  me  savait  votre  maîtresse...  » 

Il  l'interrompt,  et  tour  à  tour 
Il  baise  ses  yeux  bruns  limpides... 
Tandis  qu'ils  s'enivrent  d'amour. 
Les  heures  s'envolent  rapides. 

Le  coq  chante  au  loin.  <(  Coq  maudit. 
Tu  mourrais,  si  j'étais  ton  maitre  !  » 
A  l'orient  le  ciel  blanchit, 
La  belle  entr'ouvre  la  fenêtre. 

Prompt  comme  un  cerf,  l'amoureux  part 
Et  disparait  dans  la  ramée... 
Sur  la  clairière  un  frais  brouillard 
Ondule  comme  une  fumée. 

Leur  carnier  vide  sur  le  dos. 
Les  braconniers  quittent  la  place. 
Engourdis,  trempés  jusqu'aux  os. 
«  Ni  poil,  ni  plume,  triste  chasse  !  » 


LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 


Ils  voient  tout  à  coup  le  fourré 
S'agiter.  «  A  vous  !  »  dit  le  père. 
Les  trois  coups  partent.  «  Bien  tiré  ! 
Victoire  !  La  béte  est  par  terre.  » 

Le  chien  pousse  un  long  hurlement  ; 
Le  père  s'avance  et  regarde... 
Parmi  les  genêts  teints  de  sang 
Expire  le  blond  fils  du  garde. 


LA    PLAINTE    DU    BUCHEROX.  3I 


La   Plainte    du   bûcheron. 


DODO,  l'enfant  do  !  —  La  foret  sommeille  ; 
Assis  près  d'un  feu  clair  et  réchauffant, 
Un  vieux  bûcheron  endort  un  enfant. 
L'enfant  a  l'œil  bleu,  la  lèvre  vermeille  ; 
Le  vieux  est  courbé,  ridé,  grisonnant... 
«  Dors,  mon  doux  mignon,  la  foret  sommeille. 

Dors,  le  plus  beau  temps  est  l'âge  où  l'on  dort  !  : 

Une  étoile  luit,  un  vent  léger  passe. 

L'aïeul  se  souvient  qu'à  la  même  place 

Il  berça  le  père  :...  «  Ah  !  d'un  meilleur  sort 

Que  Dieu,  cher  enfant,  te  fasse  la  grâce! 

Dors,  le  plus  beau  temps  est  l'âge  où  l'on  dort. 

Ton  père  était  beau  comme  un  jeune  chêne. 
Souple,  agile  et  prompt  comme  un  écureuil, 
Il  avait  la  voix  claire  du  bouvreuil. 


32  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Lorsque  la  saison  d'amour  est  prochaine  ; 
La  force  et  l'ardeur  brillaient  dans  son  œil. 
Ton  père  était  beau  comme  un  jeune  chêne. 

Bien  qu'il  n'eût  ni  champ,  ni  toit,  ni  denier, 
Plus  d'un  laboureur  l'eût  voulu  pour  gendre. 
Il  aimait  ailleurs,  il  s'en  alla  prendre 
—  Dodo,  l'enfant  do  !  —  chez  un  charbonnier, 
Une  belle  enfant  pauvre,  fière  et  tendre. 
Bien  qu'il  n'eût  ni  champ,  ni  toit,  ni  denier. 

Comme  le  vin  vieux  l'amour  nous  enivre... 
C'était  au  printemps;  dans  les  chemins  creux 
Les  pommiers  neigeaient  sur  les  amoureux. 
Mais  avec  l'hiver,  la  pluie  et  le  givre, 
La  misère  vint  s'abattre  sur  eux... 
Comme  le  vin  vieux  l'amour  nous  enivre. 

Q.uand  tu  vins  au  monde,  ô  cher  orphelin  ! 
Les  murs  étaient  nus,  la  huche  était  vide  ; 
Ta  mère  pressait  sa  mamelle  aride  ; 
Tu  pleurais...  Que  faire?  Où  trouver  du  pain? 
Les  murs  étaient  nus,  la  huche  était  vide 
duand  tu  vins  au  monde,  ô  cher  orphelin  ! 

Ton  père  partit  avec  sa  cognée... 

—  Dodo  !  l'enfant  do  !  —  n  Du  pain  !  Dans  les  bois, 

J'en  saurai  trouver,  dit-il,  pour  vous  trois. 


LA    PLAINTE    DU    BUCHERON.  35 

Grands  chênes,  fayards,  futaie  épargnée. 
Tombez  en  dépit  du  garde  et  des  lois  !...  « 
Ton  père  partit  avec  sa  cognée. 

Mais  un  jour  le  deuil  emplit  la  maison  : 
Le  garde  accourut,  tremblant  de  colère, 

—  Dors,  mon  doux  mignon  !  —  et  l'on  prit  ton  père. 
Aux  gens  de  justice  il  criait  :   «  Pardon  ! 
L'enfant  meurt  de  faim,  l'enfant  et  la  mère  !  » 

Ce  jour-là  le  deuil  emplit  la  maison. 

Ton  père  en  prison  est  mort  à  la  peine  ; 
Hier  on  a  mis  ta  mère  au  cercueil. 
Nous  voilà  tous  deux,  restés  sur-  le  seuil, 
Moi  le  tronc  brisé,  toi  le  gland  du  chêne. 
Où  chercher  asile,  où  trouver  accueil?... 
Ton  père  en  prison  est  mort  à  la  peine.  » 

—  Dodo  !  l'enfant  dort  mollement  bercé. 
Au-dessus  du  bois  la  lune  se  lève; 

Le  vieux  tremble  et  pleure,  un  sanglot  soulève 
Et  fait  soupirer  son  sein  oppressé; 
Ses  pleurs  vont  tomber  sur  l'enfant  qui  rêve, 
Sur  l'enfant  qui  dort  mollement  bercé. 


54  LE    CHEMIN    DES    13  OIS. 


La  Ferme. 


A    Camille   Fistiê. 


DAN' s  une  combe  où  l'herbe  pousse 
Drue,  à  l'abri  des  grands  bois, 
La  ferme  repose  et  la  mousse 
Verdit  le  chaume  des  toits. 
Entre  elle  et  la  ville,  deux  lieues 

De  sombres  taillis  épais 
Et  de  landes  aux  teintes  bleues 
Font  le  silence  et  la  paix. 

Humble  est  la  ferme,  humbles  les  hôtes  ; 

Le  vieux  grand-père  d'abord. 
Aux  épaules  larges  et  hautes. 

Aux  bras  solides  encor  ; 
Puis,  mariés  de  l'autre  année, 

La  fermière  et  le  fermier  ; 
Puis  le  roi  de  la  maisonnée. 

L'enfant  dans  son  nid  d'osier. 


LA    FERME. 


3S 


Depuis  un  siècle  leur  fiimille 

Dans  cet  enclos  isolé 
Tient  la  charrue  et  la  faucille. 

Sème  et  moissonne  le  blé. 
Le  grand  lit  à  colonnes  torses 

Sert  depuis  bientôt  cent  ans, 
Et  le  même  berceau  d'écorces 

A  bercé  tous  les  enfants. 

La  ferme  est  heureuse  :  pour  elle, 

Avril  chante,  mai  fleurit; 
Pour  elle,  la  fraise  nouvelle 

En  juin  dans  l'herbe  mûrit; 
Le  verger  pour  elle  en  automne 

Répand  ses  fruits  à  foison, 
Et  l'enfant  robuste  lui  donne 

La  joie  en  toute  saison. 

Parfois  auprès  du  seuil  tranquille 

Un  passant,  qui  vient  s'asseoir. 
Apporte  un  récit  de  la  ville 

Que  l'on  commente  le  soir; 
Mais  l'histoire,  à  travers  la  lande, 

Prend  de  tels  airs  merveilleux, 
Qu'elle  ressemble  à  la  légende 

D'un  pays  mystérieux. 

Ainsi  dans  cet  étroit  domaine 
Les  jours  s'enchainent  aux  jours, 


36  LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 

Amenant  chacun  même  peine, 
Même  effort,  mêmes  amours. 

Le  fermier  et  sa  ménagère. 
Cœurs  naïfs,  bras  vigoureux, 

Battent  le  blé,  bêchent  la  terre... 
L'enfant  grandit  auprès  d'eux. 

Comme  eux,  il  saura  dans  la  ferme 

Brandir  le  fléau  ;  comme  eux. 
Labourer,  et  d'une  main  ferme 

Guider  deux  paires  de  bœufs. 
Quand  sur  sa  lèvre  souriante 

Un  fin  duvet  blondira. 
Dans  son  cœur  une  verte  plante, 

L'amour  s'épanouira. 

Puis,  à.  la  bourgade  prochaine. 

Il  prendra  femme  à  son  tour... 
A  moins  qu'un  sergent  ne  l'enimène 

Aux  roulements  du  tambour, 
A  moins  qu'une  royale  guerre 

Ne  l'arrache  à  son  enclos 
Et  ne  le  jette  à  la  frontière, 

Giberne  aux  flancs,  sac  au  dos. 


LE     CHARBONNIER.  37 


Le    Charbonnier. 
A  Charles  Hubert. 


LES  jours  d'hiver  sont  revenus, 
Plus  de  feuilles  aux  branches  ; 
Le  givre  couvre  les  bois  nus 
De  ses  aiguilles  blanches. 
Dans  la  coupe  où  sont  empilés 

Les  menus  brins  de  hêtre, 
Les  charbonniers  sont  installés, 
Femme,  apprentis  et  maitre. 

La  femme  allaite  un  nourrisson 

Dans  la  hutte  de  mousse. 
Et  lui  murmure  une  chanson 

Mélancolique  et  douce; 
Le  maître  et  ses  gens,  à  l'entour 

Des  fournaises  nouvelles. 
Montent  la  garde  tour  à  tour. 

Comme  des  sentinelles. 


^8  LE    CHEMIN     DES    BOIS. 

Le  charbon  qui  dort,  abrité 

Sous  une  cendre  épaisse, 
Est  comme  un  nourrisson  gâté 

Qu'il  faut  veiller  sans  cesse. 
Tout  chôme  avec  un  feu  trop  lent  ; 

Si  la  braise  allumée 
Flambe  trop  vite  sous  le  vent, 

Tout  s'envole  en  fumée. 

Rude  besogne,  sans  repos 

Et  de  sueur  baignée  1 
Le  charbonnier  sur  ses  fourneaux 

Ressemble  à  l'araignée  : 
Elle  ourdit  vingt  fois  son  réseau, 

Et  quand  la  toile  frêle 
Est  finie  à  peine,  un  oiseau 

L'emporte  d'un  coup  d'aile. 

Mais  il  n'est  si  triste  saison 

Qu'un  rayon  ne  colore. 
Et  dans  la  plus  pauvre  maison 

Le  bonheur  entre  encore; 
Si  les  misères  du  métier 

Troublent  sa  vieille  tcte. 
Parfois  aussi  le  charbonnier 

Connaît  des  jours  de  fête. 

Un  matin,  le  charbon  parait 
Sous  la  couche  de  terre  : 


LE     CHARBONNIER.  39 

Victoire  !  il  est  noir  à  souhait 

Et  cassant  comme  verre  ; 
Il  sonne  clair  comme  l'argent  ; 

A  la  forge  on  l'emmène. 
Et  dans  les  bois  sourds  on  entend 

Rouler  la  banne  pleine.- 

Le  charbonnier  n'a  d'autre  abri 

Que  sa  forêt  natale. 
Les  muguets  d'avril  ont  fleuri 

Sa  couche  nuptiale  ; 
Pareils  aux  petits  des  oiseaux 

Nichés  dans  les  bruyères. 
Ses  enfants  n'ont  eu  pour  berceaux 

Q.UC  l'herbe  des  clairières. 

Né  dans  les  bois,  il  veut  mourir 

Dans  le  fond  d'une  combe. 
Ses  compagnons  viendront  bâtir 

Un  fourneau  sur  sa  tombe. 
Un  grand  fourneau  qu'on  emplira 

De  braise  et  de  ramée. 
Et  son  âme  au  ciel  montera 

Avccque  la  fumée. 


«T' 


PAYSAGES  ET  PORTRAITS 


^f??^^»^'^^ 


La  Loire  à   Lansreais 


o' 


A    Madame  H.-C.  Jenkin. 


LARGE  et  lente,  la  Loire  aux  eaux  éblouissantes 
Se  répand  dans  les  prés  aux  clartés  de  midi. 
Le  sol  brûle,  là-bas  les  grèves  blanchissantes 
Sèchent  au  grand  soleil  leur  limon  attiédi. 

Et  sur  les  flots  moirés  dorment  de  vertes  îles, 
Ceintes  de  peupliers,  d'aunes  et  de  bouleaux  : 
Rameaux  flottants,  feuillée  épaisse,  frais  asiles 
Se  bercent  reflétés  dans  la  splendeur  des  eaux. 

Ouvrant  ses  bras  d'argent,  la  royale  rivière 
Sur  son  sein  qui  frémit  les  presse  avec  amour; 
L'eau  vers  les  saules  gris,  les  saules  vers  l'eau  claire. 
Attirés  et  charmés  s'avancent  tour  à  tour. 

Des  vignes  aux  blés  mûrs  tout  parle  de  tendresse. 
C'est  un  m-urmure  sourd,  un  chant  voluptueux  ; 
La  Loire,  tout  entière  .à  sa  muette  ivresse, 
Baise  avec  passion  les  vieux  s.iules  noueux... 


44  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

La  nuit  vient.  Au  milieu  d'une  brume  empourprée, 

Le  soleil  s'est  plongé  dans  l'onde  qui  rougit. 

Le  feuillage  frissonne,  et  la  lune  dorée 

Au  sommet  des  noyers  se  montre  et  resplendit. 

Et  l'on  entend  dans  l'eau,  dans  les  sombres  ramées, 
Des  rires,  des  baisers  et  des  éclats  de  voix, 
Comme  si  des  amants  avec  leurs  bien-aimées 
S'entretenaient  d'amour  dans  les  sentiers  des  bois. 

Et  l'on  croit  voir  passer  de  vagues  ombres  blanches  : 
Est-ce  un  frêle  brouillard  par  le  vent  emporté, 
Ou  le  jeu  d  un  rayon  de  lune  sur  les  branches?... 
L'air  exhale  de  chauds  parfums  de  volupté. 

C'est  vous  qu'on  voit  errer,  ô  splendides  maîtresses! 
Vous  qui  dans  vos  tombeaux  sonmieillcz  tout  le  jour, 
Diane,  Marguerite,  ô  reines,  ô  ducliesses, 
Fantômes  des  vieux  temps  et  de  la  vieille  cour  ! 

Vous  revenez  la  nuit  :  vos  amants,  vos  poètes 
Marchent  à  vos  côtés.  Fiers,  souriants  et  beaux, 
Contant  de  gais  propos,  chantant  des  odelettes,    . 
Les  couples  enlacés  glissent  sous  les  bouleaux. 


VERETZ.  45 


Véretz. 


J'entendis  un  son  clair  et  frais.  Une  fontaine 
Jaillissait  d'un  tonneau  dans  la  pierre  sculpté; 
Limpide,  brusque  et  prompt,  le  filet  argenté 
Bouillonnait  en  tombant  dans  la  margelle  pleine. 

Au-dessus,  des  tilleuls  se  penchaient,  ombrageant 

L'onde  où  se  reflétait  leur  image  indécise, 

Et  jusqu'au  porche  bas  et  cintré  de  l'église 

La  fraîcheur  et  l'ombrage  allaient  se  prolongeant. 

C'était  jour  de  marché  bien  que  jour  de   dimanche; 
Aux  yeux  des  acheteurs  qui  passaient  et  jasaient, 
Sous  les  rameaux  tremblants,  des  femmes  exposaient 
Leurs  légumes  rangés  sur  une  nappe  blanche. 

Vêtus  de  droguet  gris,  coiffés  de  feutre  noir, 
Des  vieillards  faisant  cercle  autour  de  la  fontaine 
Devisaient  longuement  de  la  moisson  prochaine, 
Tandis  que  l'eau  chantait  au  creux  du  réservoir. 


46  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

La  cloche,  s'éveillant  dans  le  clocher  de  pierre. 
Sonnait  le  catéchisme,  et  dans  l'ombre  on  voyait, 
Par  le  porche  béant,  la  lampe  qui  brillait. 
Ainsi  qu'un  ver  luisant,  au  fond  du  sanctuaire. 

D'enfants  endimanchés  un  essaim  babillard 
Essayait  une  ronde  à  deux  pas  de  l'église  ; 
Une  petite  fille  au  pied  d'un  arbre  assise. 
Apprenant  sa  leçon,  restait  seule  à  l'écart. 

Tantôt  elle  agitait  ses  lèvres  entr'ouvertcs, 
Et  sur  le  livre  usé  sa  tête  se  penchait; 
Tantôt,  les  j-eux  en  l'air,  rêveuse,  elle  cherchait 
Le  passage  oublié  parmi  les  branches  vertes. 

Filtrant  dans  les  tilleuls,  le  gai  soleil  d'été 
Éclairait  les  vieillards  et  l'enfint  blonde  et  rose... 
O  tableau  doux  à  voir,  où  le  cœur  se  repose, 
Et  que  le  pur  Brizeux  en  beaux  vers  eut  chanté  1 


INTERIEUR.  47 


Intérieur. 


A  ma  mère. 


LE  salon  est  paisible.  Au  fond,  la  cheminée 
Flambe,  par  un  feu  clair  et  vif  illuminée. 
Au  dehors  le  vent  siffle,  et  la  pluie  aux  carreaux 
Ruisselle  avec  un  bruit  pareil  à  des  sanglots. 
Sous  son  abat-jour  vert,  la  lampe  qui  scintille 
Baigne  de  sa  clarté  la  table  de  famille  ; 
Un  vase  plein  de  fleurs  de  l'arrière-saison 
Exhale  un  parfum  vague  et  doux  comme  le  son 
D'un  vieil  air  que  fredonne  une  voix  afiaiblie. 
Le  père  écrit.  La  mère,  active  et  recueillie, 
Couvre  un  grand  canevas  de  dessins  bigarrés. 
Et  l'on  voit  sous  ses  doigts  s'élargir  par  degrés 
Le  tissu  nuancé  de  laine  rouge  et  noire. 
Assise  au  piano,  sur  les  touches  d'ivoire 
La  jeune  fille  essaye  un  thème  préféré, 
Puis  se  retourne  et  rit.  Son  profil  éclairé 
Par  un  pâle  rayon  est  fier  et  sympathique, 


<j8  LE    CHEMIN     DES    BOIS. 

Et  si  pur  qu'on  croirait  voir  un  camée  antique. 
Elle  a  vingt  ans.  Le  feu  do  l'art  luit  dans  ses  yeux. 
Et  son  front  resplendit,  et  ses  cheveux  soN-eux 
Tombent  en  bandeaux  bruns  jusque  sur  ses  épaules. 

Comme  un  vent  frais  qui  court  dans  les  branches  des  saules 

Ses  doigts,   sur  l'instrument  tout  à  l'heure  muet, 

Modulent  lentement  un  air  de  menuet, 

Un  doux  air  de  Don  Juan,  rêveuse  mélodie, 

Pleine  de  passion  et  de  mélancolie... 

Et,  tandis  qu'elle  fait  soupirer  le  clavier, 

Le  père  pour  la  voir  laisse  plume  et  papier. 

Et  la  mère,  au  milieu  d'une  fleur  ébauchée. 

Quitte  l'aiguille  et  reste  immobile  et  penchée. 

Et  s'entre-regardant,  émus,  émerveillés, 

Ils  contemplent  tous  deux  avec  des  yeux  mouillés 

La  perle  de  l'écrin,  l'orgueil  de  la  famille, 

La  vie  et  la  gaieté  de  la  maison,  —  leur  fille. 


PORTRAl  r.  .J9 


Portrait. 


LA  beauté  n'est  pas  toute  aux  lignes  du  visoge. 
La  sienne  est  un  mj-stère  étrange  et  saisissait  ; 
C'est  la  subtile  odeur  de  la  menthe  sauvage  : 
On  ne  l'aperçoit  pas  tout  d'abord,  on  la  sent. 

Elle  est  brune  et  nerveuse,  elle  est  pale  et  petite  ; 
Ses  traits  irréguliers  sont  empreints  de  fierté; 
Dans  ses  yeux  lumineux  la  poésie  habite, 
Et  sou  corps  frêle  enferme  un  courage  indompté. 

Elle  masque  ses  pleurs  d'une  gaieté  vaillante  ; 
On  devine  pourtant  la  douleur  dans  sa  voix, 
On  l'entend  y  passer  voilée  et  palpitante 
Comme  un  ramier  blessé  qui  traverse  les  bois... 


JO  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Mais  son  rire  est  si  frais  et  parait  si  facile 
Q.u'on  se  laisse  tromper  par  son  éclat  perlé, 
Et  ce  franc  rire  d'or  sur  sa  lèvre  mobile 
N'a  pas  tinté  deux  fois  iju'on  est  ensorcelé. 

Son  esprit  vous  imprègne  et  doucement  vous  hanti 
On  vient  de  la  quitter,  son  fantôme  vous  suit  ; 
On  croit  entendre  encor  sa  parole  vibrante 
Peupler  le  logis  vide  où  l'on  rentre  à  la  nuit. 

Elle  a  le  charme  intime  et  fort  d'un  chant  rustique. 
Simple  est  la  mélodie  et  triste  le  refrain. 
Mais  on  est  lentement  pris  par  cette  musique  ; 
Ou  la  chante,  on  en  rêve,  on  en  a  le  cœur  plein. 


LE    GRAXD-PÈRE. 


SI 


Le  Grand-père. 


DAN' s  ma  cellule  solitaire, 
Où  seul  le  souvenir  me  suit, 
Que  de  fois  j'ai  songé  la  nuit 
A  la  chambre  où  mon  vieux  grand-père 
Vécut  et  s'endormit  sans  bruit  1 

Jo3'euse  chambre  tapissée 

D'un  papier  gris  à  grands  dessins!... 

Des  résédas  et  des  jasmins 

Attiraient  près  de  la  croisée 

Les  mouches  à  miel  par  essaims. 

Au  bourdonnement  des  abeilles, 
Du  fond  de  sa  cage  un  pinson 
Répondait  par  un  gai  fredon. 
Et  jamais  depuis  mes  oreilles 
N'ouïrent  si  douce  chanson. 


LE    CUE.MIM    DES    BOIS. 


Sur  les  blanches  dalles  de  pierre, 
Un  bruit  retentissait  soudain, 
Accompagné  d'un  vieux  refrain  : 
C'était  la  canne  du  grand-père 
Qui  résonnait  sur  le  chemin. 

Il  entrait.  Par  la  porte  ouverte 

La  joie  entrait  à  son  côté, 

Car  l'âge  l'avait  respecté. 

Et  sa  vieillesse  fraîche  et  verte 

Brillait  comme  un  beau  soir  d'été. 

Dans  son  fauteuil  de  velours  jaune 
Assis,  et  moi  sur  ses  genoux, 
11  bourrait  sa  pipe  de  houx, 
Sa  pipe  où  l'on  voyait  un  faune 
Jouant  de  la  flûte  à  six  trous. 

O  pipe  brunie  et  légère. 

Ton  vieux  fourneau  de  bois  sculpté 

A  mainte  épreuve  a  résisté  ; 

On  t'allume  encor!...  Le  grand-père 

S'est  éteint  pour  l'éternité. 

Par  une  froide  matinée, 

La  veille  de  la  Chandeleur, 

Sans  voix,  sans  force  et  sans  couleur, 

Il  laissa  sa  tcte  inclinée 

Tomber  sur  son  lit  de  douleur. 


LE    GRAXD-PERE.  53 

Ma  mère  mit  sur  sou  visage 
Un  baiser  suprême  et  brûlant, 
Et  dans  un  cercueil  de  bois  blanc 
Le  menuisier  du  voisinage 
S'en  vint  le  clouer  en  sifflant. 

On  attacha  sa  vieille  cpée 

Au  grand  poêle  noir  de  velours. 

Puis,  aux  sons  voilés  des  tambours, 

La  terre  humide  et  détrempée 

Le  prit  dans  son  sein  pour  toujours. 

Maintenant  sous  l'herbe  et  la  pierre, 
A  côté  de  sa  sœur,  il  dort  ; 
Et  parfois  dans  un  rêve  en  cor 
J'entends  la  canne  du  grand-père 
Retentir  dans  le  corridor. 


54  LE    CHEMIN     DES    BOIS. 


Fleurs  d'automne. 


SALON    DE     1866. 


A    Philippe    Roussciiti. 


Au  seuil  d'une  pauvre  demeure, 
Par  les  premiers  brouillards  trempés. 
Floraison  de  la  dernière  heure, 
Les  chrysanthèmes  sont  groupés. 


Les  feuilles  aux  tiges  fanées 
Déjà  ne  peuvent  plus  tenir; 
On  sent  que  les  grises  journées 
Et  les  nuits  froides  vont  venir. 


FLEURS     D  AUTOMNE. 


Sur  la  vitre  frêle  et  verdie 
D'une  cloche  au  châssis  brisé, 
L'œil  demi-clos,  l'aile  engourdie, 
Un  rouge-gorge  s'est  posé... 


Toile  vivante  et  sympathique  ! 
Par  ce  tableau  tout  imprégné 
D'un  charme  intime  et  domestique 
Le  cœur  est  doucement  gagné. 


Comme  ce  pêcheur  légendaire 

Par  le  chant  des  flots  fasciné, 

Q.ui  plonge  et  sous  l'eau  bleue  et  claire 

Trouve  nn  palais  abandonné  ; 


Dans  les  souvenances  fuyantes 
Mon  esprit  s'enfonce,  et  je  vois 
Les  vieilles  demeures  absentes 
Et  les  vieux  amis  d'autrefois  ; 


Ma  calme  ville  de  province, 
Les  vignes  aux  pampres  rougis, 
La  colline  où  l'église  mince 
S'élance  entre  les  hauts  losis... 


$6  LE    CHEMIN    Dr.  s    BOIS. 

J'y  crois  être  encor  !  —  La  mésange 
Gazouille  dans  les  prunelliers, 
Une  molle  odeur  de  vendange 
Sort  de  la  voûte  des  celliers  ; 


La  nuit  vient,  une  vitre  brille, 
Et  sur  ce  cadre  radieux 
Un  fin  profil  de  jeune  fille 
Se  dessine,  mystérieux; 


Un  chant  monte,  plein  de  tendresse, 
Sous  les  rameaux  jaunis  des  bois  : 
On  dirait  au  loin  la  jeunesse 
Lt  l'amour  unissant  leurs  voix... 


Soirs  d'automne,  jeunes  années, 
Pour  vous  réveiller  de  l'oubli, 
Un  oiseau,  quelques  fleurs  fanées 
Sur  un  coin  de  toile  ont  suffi. 


Voilà  l'art  vrai,  le  seul  qui  dure 
Et  connaisse  le  vrai  chemin 
Qui  de  l'éternelle  nature 
Mène  à  l'éternel  cœur  humain. 


FLEURS     D  AUTOMNE.  57 

Artiste,  ta  peinture  sobre 
Nous  remue  et  ton  œuvre  est  bon. 
C'est  assez  de  tes  fleurs  d'octobre, 
Maitre,  pour  faire  aimer  ton  nom. 


Oui,  tant  que  des  regards  humides 
Se  tourneront  vers  le  passé, 
Tant  que  les  ans  fuiront  rapides, 
Semant  comme  un  collier  brisé 


Leurs  mélancoliques  poèmes 
D'amours  morts,  de  mortes  saisons, 
On  aimera  tes  clirysanthcmcs 
Jetant  au  vent  leurs  floraisons. 


58  LE     CHEMIN'     DES    BOIS. 


Hermann. 


L'ÉTRANGE  expression  de  ta  tète  inspirée 
Et  le  rayonnement  de  ton  regard  vainqueur 
Me   hantent   depuis  l'heure  où  je  t'ai  rencontrée, 
Jeune  fille  au  nom  mâle  et  lier  comme  ton  cœur. 


C'était  dans  un  concert  où  se  presse  la  foule; 
Beethoven  traduisait  les  cris  du  cœur  humain 
Avec  son  chant  pareil  aux   sanglots  de  la  houle  ; 
Tu  l'écoutais,  muette  et  le  front  dans  la  main. 


Tu  rejetas  soudain  tes  cheveux  en  arrière, 
Palpitante,  aspirant  l'air  sonore  d'un  trait. 
Comme  pour  abreuver  ton  âme  tout  entière 
Aux   flots   harmonieux   que   l'orchestre   épanchait. 


HERMANN.  59 


Tel  un  jeune  chevreuil  que  le  parc  emprisonne; 
Si  le  souffle  d'avril  lui  rapporte  parfois 
La  senteur  des  forêts,  il  s'arrête,  il  frissonne 
Et  boit  avidement  l'air  libre  des  grands  bois... 

Et  je  te  contemplais,  figure  saisissante, 

A  la  lèvre  mobile,  à  la  mate  pâleur  : 

Blonds  cheveux,  longs  yeux  noirs,  narine  frémissante, 

La  bouche  d'un  eniiint  et  le  front  d'un  penseur. 


6o  LE    CHEMIN    DES     BOIS. 


La  Métairie. 


MIDI  brûlait  le  sol  de  ses  rayons  dorés 
Et  les  bœufs  assoupis  sommeillaient  dans  les  prés. 
Tout  reposait  :  l'oiseau,  les  blés  mûrs,  la  feuillée; 
Seule,  chantait  sans  fin  la  cigale  éveillée. 
Nous  vînmes  nous  asseoir  dans  l'herbe; — la  chaleur 
Avait  rougi  sa  joue  et  son  grand  front  rêveur. 
Elle  avait  faim.  —  Derrière  une  vigne  fleurie 
Brillait  dans  le  lointain  un  toit  de  métairie  : 
—  Prenons  par  là,  dit-elle.  —  Et  nous  voilà  partis 
A  travers  les  halliers,  les  fossés,  les  p.âtis. 
Les  portes  de  la  gr.-nge  étaient  au  large  ouvertes; 
Des  fourches  à  la  main,  les  métayers  .nlertcs 
Rangeaient  dans  le  fenil  les   foins  tout  parfumés, 
Et  deux  bœufs  ruminaient,  dans  l'établc  enfermés. 
Un  figuier  ombrageait  une  étroite  masure; 
C'est  là  qu'on  nous  mena,  dans  une  salle  obscure 


LA     MÉTAIRIE.  6l 

Où,  tandis  qu'on  cherchait  du  pain  bis  et  du  lait, 

Nous  demeurâmes  seuls.  —  Par  un  trou  du  volet 

Un  rayon  de  soleil,  rare  et  faible  lumière, 

Se  glissait  et  dorait  l'humble  pavé  de  pierre  ; 

La  muraille  était  nue  et  sur  les  ais  pourris 

Des  brins  d'herbe  poussaient,  d'humidité  nourris. 

Aux  poutres  du  plancher,  de  grises  araignées 

Avaient  tissé  longtemps  leurs  toiles  épargnées. 

—  Triste  lieu,  me  dit-elle,  et  pourtant  croyez-moi. 

J'y  vivrais  bienheureuse  avec  vous...  avec  toi!  — 

Ses  yeux  bruns  souriaient.  Je  pris  ses  mains  tremblantes  ; 

Je  couvris  de  baisers  ces  yeux,  ces  mains  charmantes, 

Ce  front  pâle  et  baissé  ;  je  sentis  dans  mes  bras 

Battre  son  pauvre  cœur...  Soudain  un  bruit  de  pas 

Suspendit  les  baisers  sur  nos  lèvres  surprises  : 

C'était  la  métayère  apportant  des  cerises 

Dans  leur  feuillage  vert,  du  pain  cuit  le  matin. 

Et  du  lait  qui  fleurait  la  lavande  et  le  thym. 


62  LE     CHEMIN    DES    BOIS. 


Amoroso. 


Ji;  la  rencontre  à  la  même  heure, 
Seule,  sur  le  pont,  chaque  jour. 
Elle  regagne  sa  demeure 
Au  bord  de  l'eau,  dans  le  fiiubourg. 

Elle  a  vingt  ans  au  plus,  sa  mise 
Est  simple,  mais  charmante  à  voir  : 
Sur  les  plis  de  sa  robe  grise 
Tombe  une  mante  de  drap  noir  ; 

Son  bonnet,  dont  le  vent  chilTonne 
Les  ruches  aux  tuyaux  roulés, 
Découvre  une  oreille  mignonne 
Et  d'épais  cheveux  crêpelés. 


AMOROSO.  63 


Elle  est  petite,  maigre  et  brune  ; 
Sous  de  longs  cils  son  regard  luit, 
Comme  un  féerique  clair  de  lune 
Parmi  les  vapeurs  de  la  nuit. 

Sa  bouche  vermeille  et  charnue 
Prend  une  étrange  expression 
De  désir  et  de  retenue, 
D'ironie  et  de  passion. 

Les  contours  de  son  sein  pudique 
Et  sa  joue  aux  tons  veloutés 
Dans  le  pur  marbre  pentélique 
Semblent  avoir  été  sculptés. 

Près  des  types  de  la  Touraine, 
Son  air,  son  profil  gracieux 
De  médaille  syracusaine 
Font  un  contraste  merveilleux. 

Vient-elle  des  îles  qu'arrose 
La  mer  de  Grèce  aux  tièdes  eaux, 
Ou,  plante  rare,  est-elle  éclose 
Dans  les  doux  vergers  tourangeaux  1 

Je  ne  sais.  Elle  est  ouvrière  ; 
Sur  cette  place,  chaque  soir, 
Elle  passe,  sauvage  et  fière, 
En  revenant  de  son  ouvroir. 


64  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Je  la  contemple  et  je  l'admire, 
Mon  cœur  la  désire  tout  bas; 
Je  la  suis  de  loin  sans  rien  dire, 
Elle  ne  me  voit  même  pas... 

Puis,  comme  un  écolier  timide, 
Je  reviens  par  les  quais  déserts. 
La  nuit  resplendit.  Mon  ca;ur  vide 
Se  gonfle  de  regrets  amers. 

Et  les  étoiles  qui  tressaillent 
Et  semblent  se  chercher  toujours, 
Les  claires  étoiles  se  raillent 
De  mes  platoniques  amours. 

Tours,  juin  1860. 


UNE     VIEILLE     FILLE.  65 


Une  vieille  fille. 


LA  maison  qu'elle  habite  aux  portes  d'un  faubourg, 
En  province,  est  muette,  oubliée  et  maussade; 
Les  grands  vents  pluvieux  ont  noirci  la  feçade, 
L'ombre  emplit  les  couloirs,  l'herbe  croit  dans  la  cour. 

Avec  de  vieilles  gens  elle  est  là  tout  le  jour, 
Dans  une  chambre  close  où  règne  une  odeur  flide  ; 
Tout  le  jour  elle  est  là,  pâle  et  déjà  malade. 
Pauvre  fille  sans  dot,  sans  beauté,  sans  amour. 

Jadis,  quand  le  printemps  fleurissait  sa  fenêtre. 

Elle  disait,  sentant  frissonner  tout  son  être  : 

—  Le  bonheur  inconnu  viendra-t-il  aujourd'hui?... 

Les  printemps  sont  passés,  vides  et  lourds  d'ennui  ; 
Son  œil  bleu  s'est  voilé  d'une  langueur  mortelle; 
Elle  dit  maintenant:  —  La  fin,  quand  viendra-t-elle?.., 


66  LU    CHEMIN    HE  s    BOIS. 


L'Asscmblce*. 


.7    Madame   A. -M.    Bla  nchecoll  e. 


VIELLES  et  cornemuse  en  chœur 
Retentissent  dans  Li  vallée. 
Le  vent  porte  sur  la  hauteur 
Les  joyeux  bruits  de  YassembUe. 
On  ne  voit  par  les  sentiers  verts 
Que  fillettes  aux  coiffes  blanches 
Et  gardons  rayonnants  et  fiers 
Dans  leurs  habits  des  dimanches. 

On  danse  à  l'abri  des  tilleuls, 
l;n  face  de  la  vieille  église  : 
—  En  avant,  les  cavaliers  seuls  !  — 
Crie  un  vielleur  à  barbe  grise; 
Et,  tandis  que  sur  les  tréteaux 
L'orchestre  s'essouffle  et  s'enroue, 


*  Ictc  de  NJUagc  cil  Tourainc,  où  l'on  vient  louer  des 
domcsitiqucs. 


l'assembluk.  67 

La  contredanse  sans  repos 
Se  dénoue  et  se  renoue. 

Une  auberge  sous  les  noyers 
Se  dresse,  bourdonnante  et  pleine. 
Là  sont  venus  les  métaj-ers 
Louer  pâtres  et  gens  de  peine. 
A  flots  coule  le  vin  vermeil, 
Le  meilleur  vin  de  l'hôtelière; 
On  voit  scintiller  au  soleil 
Des  rubis  dans  cha(jue  verre. 

Les  gars  qui  veulent  se  gager 
Pour  la  saison  ou  pour  l'année, 
Vigneron,  faucheur  ou  berger. 
Moissonneur,  homme  de  journée, 
Passent  tous,  souriants  et  forts. 
Devant  la  porte  au  large  ouverte  ; 
Tous  à  leurs  feutres  aux  grands  bords 
Ont  mis  une  branche  verte. 

Cet  emblème  parle  pour  eux  ; 
Il  dit,  ce  frais  brin  de  feuillage  : 
«  Voj-ez,  j'ai  des  bras  vigoureux. 
Je  suis  plein  de  cœur  à  l'ouvrage. 
J'ai  quitté  mon  toit  ce  matin  ; 
Ma  mère,  avec  une  caresse, 
Ma  mère  m'a  mis  dans  la  main 
Un  écu,  mince  richesse. 


LE    CIIEMIK    DES    BOIS. 


«  Maintenant  qui  veut  me  nourrir? 
Qui  veut  me  prendre  en  sa  demeure? 
Je  fais  serment  de  le  servir 
Le  jour  et  la  nuit,  à  toute  heure. 
J'irai  surveiller  ses  pasteurs 
Et  battre  son  blé  dans  la  grange; 
Je  ferai  ses  foins,  ses  labours. 
Sa  moisson  et  sa  vendange...  » 

Puis,  quand  les  gages  sont  donnés, 
Ils  s'en  reviennent  à  la  danse. 
Sonnez,  cornemuses,  sonnez  ; 
Toi,  vielleur,  marque  la  cadence! 
Avec  leur  danseuse  au  coté. 
Ils  tournent  et  sautent  sans  cesse; 
O  dernier  jour  de  liberté, 
On  te  boit  avec  ivresse  ! 

Aujourd'hui  c'est  l'air  imprégné 
D'amour,  l'air  natal  du  vill.ige; 
Mais  demain  c'est  le  pain  gagné 
A  la  sueur  de  son  visage. 
Ce  soir  encor    tout  est  plaisir; 
Mais  demain  il  faudra  connaître 
L'escalier  si  roide  à  gravir, 
Le  dur  escalier  du  maître  ! 


A  7,  A  Y.  69 


Azay. 


CALME  petite  ville,  où  t'ai-je  déjà  vue  ? 
Dans  quel  rêve  ou  dans  quel  pays? 
Les  noirs  logis  muets  qui  bordent  chaque  rue, 
Avec  leur  forme  étrange  et  pourtant  bien  connue. 
Me  paraissent  de  vieux  amis. 

Les  pignons  au  soleil  découpent  leurs  sculptures, 

A  leurs  pieds  l'ombre  se  répand  ; 
L'herbe  autour  des  pavés  met  de  vertes  bordures. 
Les  murs  sont  lézardés,  aux  poutres  des  toitures 
Le  lierre  grimpe  et  se  suspend. 

A  la  mode  des  temps  anciens  encor  vêtues, 

Des  servantes  aux  grands  bonnets. 
Droites  sur  les  degrés  aux  assises  moussues. 
Restent  sans  mouvement  ainsi  que  des  statues; 
Dans  l'air  volent  des  martinets. 


LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 


Ilclcnc. 


EST -ELLE  blonde  ou  brune?...  On  ne  le  s.nit  p.isbicn. 
Ses  cheveux  crépclés  aux  nattes  abondantes, 
Encadrant  un  profil  jeune  et  parisien, 
Selon  le  jour  et  l'heure  ont  des  teintes  changeantes. 

Bleue  ou  verte,  quelle  est  la  couleur  de  ses  yeux?... 
On  hésite  à  le  dire,  et  son  regard  ressemble 
Au  ciel  d'avril,  tantôt  limpide  et  r.idieux. 
Tantôt  brouillé  de  pluie  et  d'azur  tout  ensemble. 

Est-elle  g.iie  ou  triste?...  Aux  bois,  le  givre  blanc 
Tombe  et  soudain  se  fond  en  perles  à  l'air  tiède  : 
Ainsi,  quand  dans  ses  yeux  une  larme  en  tremblant 
S'est  montrée,  un  sourire  aussitôt  lui  succède. 

Ondoyante  figure  !  On  ne  peut  la  saisir, 
Et  sans  cesse  on  la  voit  qui  passe  fugitive. 
Comme  un  bleu  papillon  au  fond  du  souvenir. 
Légère  et  sérieuse,  étourdie  et  pensive. 


CHAMP     DE     BATAILLE.  75 


Champ    de   bataille. 


A   Edmond   Gondiiiet. 


LE  soir  vient  ;  le  soleil  empourpre  en  s'abaissant 
La  lisière  d'un  bois  aux  profondeurs  sereines  ; 
Dans  la  plaine,  un  tumulte  emplit  l'air  frémissant  : 
Canonnade,  clairons,  tambours,  clameurs  humaines  1 
L'horizon  est  voilé  d'une  vapeur  de  sang. 

La  bataille  a  duré  tout  le  jour,  —  et  dans  l'ombre, 
Là-bas  où  le  sol  noir  avec  le  ciel  se  fond, 
Dans  les  chemins  couverts  de  cadavres  sans  nombre 
Et  les  blés  verts  fauchés  par  les  balles  de  plomb, 
Elle  se  continue  impitoyable  et  sombre. 

Dans  les  champs,  dans  les  clos  du  village  détruit, 

Les  blessés  et  les  morts  font  une  large  voie 

Qui  du  fleuve  en  rumeur  aux  bois  muets  conduit, 

Et  l'œil  peut  suivre,  au  vol  des  lourds  oiseaux  de  proie, 

La  piste  des  soldats  s'égorgeant  dans  la  nuit. 


LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 


Hélcne. 


EST -ELLE  blonde  ou  brune?...  On  ne  le  sait  pas  bien. 
Ses  cheveux  crêpelés  aux  nattes  abondantes, 
Encadrant  un  profil  jeune  et  parisien, 
Selon  le  jour  et  l'heure  ont  des  teintes  changeantes. 

Bleue  ou  verte,  quelle  est  la  couleur  de  ses  yeux?... 
On  hésite  à  le  dire,  et  son  regard  ressemble 
Au  ciel  d'avril,  tantôt  limpide  et  radieux, 
Tantôt  brouille  de  pluie  et  d'azur  tout  ensemble. 

Est-elle  gaie  ou  triste?...  Aux  bois,  le  givre  blanc 
Tombe  et  soudain  se  fond  en  perles  à  l'air  tiède  : 
Ainsi,  quand  dans  ses  yeux  une  larme  en  tremblant 
S'est  montrée,  un  sourire  aussitôt  lui  succède. 

Ondoyante  figure  !  On  ne  peut  la  saisir, 
Et  sans  cesse  on  la  voit  qui  passe  fugitive. 
Comme  un  bleu  papillon  au  fond  du  souvenir, 
Légère  et  sérieuse,  étourdie  et  pensive. 


CHAMP     DE     BATAILLE.  73 


Champ    de   bataille. 


A   Edmond   Gondinct. 


LE  soir  vient  ;  le  soleil  empourpre  en  s'abaissant 
La  lisière  d'un  bois  aux  profondeurs  sereines  ; 
Dans  la  plaine,  un  tumulte  emplit  l'air  frémissant  : 
Canonnade,  clairons,  tambours,  clameurs  humaines  ! 
L'horizon  est  voilé  d'une  vapeur  de  sang. 

La  bataille  a  duré  tout  le  jour,  —  et  dans  l'ombre, 
L.i-bas  où  le  sol  noir  avec  le  ciel  se  fond , 
Dans  les  chemins  couverts  de  cadavres  sans  nombre 
Et  les  blés  verts  fauchés  par  les  balles  de  plomb, 
Elle  se  continue  impitoyable  et  sombre. 

Dans  les  champs,  dans  les  clos  du  village  détruit, 

Les  blessés  et  les  morts  font  une  large  voie 

Qui  du  fleuve  en  rumeur  aux  bois  muets  conduit. 

Et  l'œil  peut  suivre,  au  vol  des  lourds  oiseaux  de  proie, 

La  piste  des  soldats  s'égorgeant  dans  la  nuit. 


LE    CHEMIN     DUS    BOIS. 


C'est  une  âpre  mêlée  où  l'on  ne  sent  plus  vivre 

Un  seul  des  grands  instincts  que  l'homme  a  dans  le  cœur, 

Où  le  sang  veut  du  sang,  où  le  fer  et  le  cuivre 

Rendent  la  force  aveugle  et  cruelle  la  peur  : 

L'àme  entière  a  sombré  :  la  bcte  humaine  est  ivre. 

Parfois  les  combattants  s'apaisent,  et  les  sons 
Confus  des  nuits  de  juin  montent  par  intervalles, 
Et  les  grillons  des  prés  murmurent  leurs  chansons. 
Les  conscrits  mutilés  lèvent  leurs  têtes  pâles. 
Blonds  fils  de  paysans  couchés  sous  les  buissons. 

L'autre  année,  ils  marchaient  joyeux  dans  leurs  collines. 
Robustes  l.iboureurs  ou  bûcherons  hâlés, 
Humant  à  pleins  poumons  l'odeur  des  aubépines, 
Et,  comme  l'alouette  à  l'essor  dans  les  blés, 
Sentant  l'air  libre  et  pur  jouer  dans  leurs  poitrines. 

Et  les  voilà  sur  l'herbe  et  le  sable  étendus... 

Adieu  la  vie,  adieu  le  jour,  adieu  la  terre  1 

Ils  jettent  vainement  des  cris  inentendus; 

La  mort  vient;  —  maudissant  les  rois  qui  font  la  guerre, 

Leur  bouche  se  referme  et  ne  se  rouvre  plus. 

La  lutte  se  poursuit  horrible,  haletante. 
Sans  quartier,  sans  merci,  b.Yionnette  en  avant; 
Les  carrés  enfoncés  roulent  dans  l'eau  sanglante... 
Jusqu'aux  cimes  des  monts  impassibles  le  vent 
Emporte  une  clameur  de  rage  et  d'épouvante. 


CHAMP    DE    BATAILLE.  75 

La  déroute  commence;  ainsi  que  des  troupeaux 
Effarés,  les  fuj-ards  courent  dans  la  vallée. 
La  bataille  est  finie.  —  Aux  clartés  des  flambeaux, 
Aux  salves  des  tambours,  d'org-ueil  l'âme  gonflée. 
Le  vainqueur  rentre  au  camp  et  compte  ses  drapeaux. 

Tandis  que  l'aube  grise  éclaire  ceux  qui  meurent, 

Le  bruit  de  son  succès  vole  par  l'univers... 

Et  là-bas,  dans  les  bourgs  où  les  femmes  demeurent 

Près  des  foyers  éteints  de  leurs  logis  déserts. 

Dans  les  bourgs  dépeuplés,  là-bas  les  mères  pleurent. 

]uillct  1866. 


1^^ 
^ 


LES   ARAIGNÉES 


*-<\ 


Le   Tisserand. 


LA  cave  est  froide  et  sombre.  Un  escalier  glissant, 
Envahi  par  l'ortie  et  la  mousse,  y  descend. 
L'eau  filtrée  à  travers  les  pierres  de  la  voûte 
Sur  le  sol  détrempé  se  répand  goutte  à  goutte. 
L'enduit  des  murs  s'écaille  et  s'en  va  par  morceau  ; 
La  fenêtre  mal  close  est  veuve  d'un  carreau. 
Dans  le  cadre  béant  de  la  vitre  éborgnée. 
Depuis  le  jour  naissant,  une  grise  araignée 
Va,  vient,  croise  ses  fils,  tourne  sans  se  lasser, 
Et  déjà  l'on  peut  voir  les  brins  s'entrelacer, 
Et  dans  l'air  s'arrondir  une  frêle  rosace. 
Chef-d'œuvre  délicat  de  souplesse  et  de  grâce. 


8o  LE    CHEMIN    DE  s    BOIS. 

Parfois  dans  son  travail  l'insecte  s'interrompt, 
Son  regard  inquiet  plonge  au  caveau  profond. 

Là,  dans  un  angle  obscur,  un  compagnon  de  peine, 

Un  maigre  tisserand,  pauvre  araignée  humaine, 

Façonne  aussi  sa  toile  et  lutte  sans  merci. 

Le  lourd  métier,  par  l'âge  et  la  fraîcheur  noirci, 

Tressaille  et  se  débat  sous  la  main  qui  le  presse  ; 

Sans  cesse  l'on  entend  sa  clameur,  et  sans  cesse 

La  navette  de  bois  que  lance  l'autre  main 

Entre  les  fils  tendus  fait  le  même  chemin. 

Du  métier  qui  gémit  le  tisserand  est  l'àme 

Et  l'esclave  à  la  fois  :  tout  courbé  sur  la  trame. 

Les  pieds  en  mouvement,  le  corps  en  deux  plié, 

A  sa  tâche,  toujours  la  même,  il  est  lié 

Conime  à  la  glèbe  un  serf.  Les  fuyantes  années 

Pour  lui  n'ont  pas  un  cours  de  saisons  alternées; 

Dans  son  caveau  rempli  d'ombre  et  d'humidité, 

11  n'est  point  de  printemps,  d'automne,  ni  d'été; 

II  ne  sait  même  plus  quand  fleurissent  les  roses. 

Car,  dans  l'air  comprimé  sous  ces  voûtes  moroses, 

Jamais  bouton  de  fleur  ne  s'est  épanoui. 

Les  semaines  n'ont  pas  de  dimanche  pour  lui  ; 

Quand  il  sort,  c'est  le  soir,  pour  rendre  à  la  fabrique 

Sa  toile  et  recevoir  un  salaire  modique; 

Puis  il  rentre,  ployé  sous  son  faix  de  coton. 

Le  dur  métier  l'attend,  les  lames  de  laiton 

Se  partagent  les  fils  dont  la  chaîne  est  formée. 

A  l'cT-uvre  maintenant  !  La  famille  afiamée. 


LE    TISSERAND.  8l 

Si  l;i  navette  hésite  ou  s'arrête  eu  chemiu, 

La  famille  n'aura  rien  à  manger  demain. 

O  maigre  tisserand,  ô  cliétive  araignée, 

Vous  avez  même  peine  et  même  destinée, 

Et  dans  le  même  cercle  aride  votre  sort, 

Pénible  et  résigné,  tourne  jusqu'à  la  mort. 

De  l'aube  au  crépuscule  il  faut  tisser  sans  cesse; 

Il  faut  tisser  pour  vivre,  et  si  la  faim  vous  presse. 

Si  le  besoin  roidit  vos  bras  endoloris. 

Le  travail  chôme...  Adieu  le  réseau  de  fils  gris. 

Et  la  trame  légère  et  souple  comme  un  voile  ! 

Sans  toile  plus  de  pain,  et  sans  pain  plus  de  toile... 

Votre  vie  a  le  même  horizon  désolant, 

O  cliétive  araignée,  ô  maigre  tisserand  1 

A  l'approche  du  soir,  l'homme  un  instant  s'arrête. 

Il  a  les  reins  rompus,  sa  main  tremble,  et  sa  tête 

Est  lourde.  Son  regard  anxieux  et  troublé 

Contemple  le  châssis  où  l'insecte  a  filé. 

Le  soleil  qui  s'éteint  dans  la  brume  rougie 

Empourpre  les  carreaux  de  la  vitre  ternie... 

Au  long  des  grands  bois  verts  et  baignés  de  clarté, 

Qu'il  serait  bon  d'errer  ce  soir  en  liberté  !... 

Par  l'étroit  soupirail,  le  vent  du  sud  apporte 

Des  sons  lointains  de  cloche  et  l'odeur  saine  et  forte 

De  la  terre  .attiédie  et  des  foins  mûrissants... 

Qu'il  ferait  bon  dehors  !  Heureux  les  lis  des  champs! 

Leurs  fleurs  «  emmi  les  prés  ne  filent  ni  ne  tissent», 

Et  toujours  leurs  soyeux  vêtements  resplendissent, 


8j  lk  chemix  des  bois. 


Et  toujours  sans  compter  Dieu  leur  donne  au  réveil 
Ses  perles  de  rosée  et  ses  flots  de  soleil. 
Heureux  les  lis  des  champs  !... 

L'homme  se  décourage 
Et  n'ose  même  plus  regarder  son  ouvrage. 
L'insecte,  sur  ses  fils  immobile,  inquiet. 
Comme  une  sentinelle  épie  et  fait  le  guet. 
—  Jouant  dans  un  rayon,  bourdonnante,  étourdie, 
Dans  la  toile  flexible  et  savamment  ourdie 
Une  mouclie  soudain  s'enlace  et  se  débat. 
Alerte,  l'araignée  accourt^  et  le  combat 
S'engage.  La  captive  est  brave  et  bien  armée; 
L'araignée  est  ardente,  implacable,  afl^xmée. 
Sur  l'aile  frémissante  et  le  corselet  bleu 
Elle  lance  des  fils  gluants,  et  peu  à  peu 
Elle  roule  la  mouche  en  un  linceul  de  mailles, 
Et  l'emporte  broyée  entre  ses  deux  tenailles. 

La  nuit  vient,  dérobant  victime  et  meurtrier. 

Le  tisserand  pensif  retourne  à  son  métier. 

Q.uoi  !  partout  la  douleur  h.  sa  proie  aclianiée, 

Lt  la  vie  à  la  mort  à  jamais  encliainée  ! 

Partout  lutte  et  travail  !...  L'insecte  à  jieiiie  né 

A  cette  loi  terrible  obéit,  résigne; 

Et  les  grands  lis  tout  fiers  de  leurs  blanches  corolles, 

Les  lis  immaculés,  s'ils  trouvaient  des  paroles. 

Qui  sait  ce  qu'ils  diraient  de  leurs  eflbrts  sans  fin 


LE    TISSERAXD,  83 

Pour  germer,  pour  jaillir  du  bulbe  souterrain, 
Et  pousser  droit  leur  tige  et  fleurir  à  l'air  libre?... 

Il  relève  la  tête,  il  sent  dans  chaque  fibre 

De  ses  muscles  lassés  la  vigueur  revenir. 

Courage  1  le  pain  manque  et  le  jour  va  finir; 

Courage  !...  Et  vous,  leviers,  sous  le  pied  qui  vous  guide 

Montez  et  descendez.  Toi,  navette  rapide. 

Fais  ton  devoir.  —  Les  fils  se  croisent  mille  fois, 

L'étoffe  s'épaissit  sur  le  rouleau  de  bois. 

Et  longtemps  dans  la  nuit  calme  on  entend  encore 

Du  métier  haletant  le  bruit  sec  et  sonore. 


84  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 


II 


La    Brodeuse. 


LA  m.itinû-c  est  froide,  octobre  va  finir. 
La  brodeuse,  là-haut,  tr.iv.iillc  à  sa  croisée. 
D'où  l'on  voit  scintiller  les  toits  blancs  de  rosée 
Et  les  bois  des  coteaux  h  l'horizon  jaunir. 

Elle  n'a  pas  trente  ans  cncor;  mais  la  jeunesse 
Que  ne  dorent  l'amour  ni  la  maternité. 
Demeure  sans  parfum,  sans  duvet  velouté. 
Comme  un  fruit  que  jamais  le  soleil  ne  caresse. 

Son  front  pâle  est  plissé,  ses  yeux  se  sont  flétris 
A  veiller  aux  lueurs  d'une  lampe  malsaine  ; 
Sa  taille  s'est  voûtée,  et  sa  robe  de  laine 
Flotte  autour  de  son  sein  aux  contours  amaigris. 


LA    BRODEUSE. 


Hier,  pour  achever  ce  lot  de  broderies, 
Elle  a  passé  la  nuit,  ses  doigts  sont  engourdis; 
Et  ce  matin  voici  que  le  fin  plumetis 
Déroule  sa  guirlande  aux  torsades  fleuries... 

Elle  est  lasse  et  malade.  Un  âpre  accès  de  toux 
L'épuisé...  Elle  interrompt  ce  travail  qui  la  tue. 
Et  ses  grands  yeux  souffrants  errent  dans  l'étendue. 
—  Le  soleil  luit  plus  clair  et  le  vent  est  plus  doux. 

Lentement,  mollement,  dans  l'air  qui  les  balance. 
De  longs  fils  argentés,  plus  fins  que  des  cheveux. 
Montent,  montent,  légers,  ondoyants,  vaporeux  ; 
Avec  leurs  écheveaux  le  vent  joue  en  silence. 

Ils  passent.  Quelques-uns  attachent   aux  rameaux 
Leurs  transparents  tissus,  flottantes  broderies; 
D'autres  vont  se  mêler  aux  herbes  des  prairies; 
Tout  leur  est  un  appui  :  chaumes,  buissons,  ormeaux. 

Un  insecte,  une  pale  et  mignonne  araignée 
Ourdit  ces  fils  soyeux  à  l'heure  des  amours; 
Puis,  comme  une  épousée  aux  gracieux  atours. 
Elle  part,  suspendue  à  ce  char  d'hyménée. 

Elle  vole  au-devant  de  l'époux  désiré... 
Le  voici  !  —  Brins  de  jonc,  tendres  pousses  des  frênes, 
Prêtez-leur  un  asile,  et  vous,  tièdes  haleines, 
3ercez  dans  un  rayon  le  couple  énamouré  ! 


86  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

L'amour!...  Et  toi,  brodeuse,  es-tu  donc  condamnée 

A  ne  j-mLiis  trouver  l'amoureux  idéal  ? 

Ne  broderas-tu  pas  ton  voile  nuptial, 

O  p.ile  et  chaste  sœur  de  la  grise  araignée  ?. .. 

Qui  l'aimerait?  —  Son  cœur  repousse  fièrement 
Ces  vénales  amours,  fausses  comme  l'ivraie. 
Qui  laissent  le  dégoût  à  l'homme  qui  les  paie 
Et  souillent  à  jamais  la  femme  qui  les  vend. 

Qui  l'aimerait?  —  Un  pauvre  et  rude  mercenaire? 
Mais  l'amour  prend  du  temps,  et  chaque  instant  perdu 
Coûte  un  morceau  de  pain  ;  l'amour  est  défendu 
A  qui  matin  et  soir  lutte  avec  la  misère. 

Ncn,  elle  traînera  ses  jours  laborieux 
Dans  son  réduit  glacé,  sans  enfant,  sans  caresse. 
Jusqu'à  riieure  où,  tombant  sous  son  faix  de  détresse, 
Aux  clartés  de  ce  monde  elle  clora  ses  yeux. 

Là-bas,  où  le  gazon  sur  les  tombes  récentes 
Se  gonfle,  son  corps  las  ira  se  reposer. 
Et  les  fils  de  la  Vierge  accourront  s'enlacer 
Sur  sa  fosse,  parmi  les  herbes  jaunissantes. 


>-iï 


VERONICA 


S^èïRigf^^ 


Veronica. 


J'ai  tenté  bien  des  fois  de  la  peindre  en  mes  vers  ; 
J'ai  dit  l'enchantement  de  sa  bouche  rieuse 
Et  ses  yeux  veloutés  couleur  de  scabieuse, 
Si  tendres  et  si  fins,  si  profonds  et  si  clairs. 

Je  veux  que,  sans  la  voir,  d'un  trait  on  la  connaisse, 
Et  toujours  je  reprends  le  portrait  préféré  ; 
Vains  efforts  !  Je  ne  puis  jamais  rendre  à  mon  gré 
Ce  qui  charme  le  plus  en  elle,  —  la  jeunesse. 

Jeunesse  de  l'esprit,  jeunesse  de  la  voix, 
Jeunesse  du  visage...  Elle  n'a  qu'à  paraître, 
On  sent  comme  un  parfum  de  mai  qui  vous  pénètre. 
Et  l'on  entend  chanter  les  rossignols  des  bois. 

On  voit,  comme  un  oiseau  parmi  les  églantines, 
Un  raj'on  de  gaité  dans  ses  yeux  voltiger, 
Et  son  éclat  de  rire  argentin  et  léger 
Semble  un  limpide  écho  des  saisons  enfantines. 


f2 


90  LE    CHEMIN'    DES    BOIS. 


Souvenir. 


TANDIS  que  l'hiver  à  ma  porte 
Se  lamente,  un  songe  m'emporte 
Vers  le  gai  printemps  d'autrefois, 
Et  le  souvenir  fait  revivre 
Sur  mes  vitres  blanches  de  givre 
Nos  promenades  dans  les  bois  ; 

Et  sous  les  arcades  lointaines 
Des  bouleaux  penchés  et  des  frênes 
Que  berce  le  vent  du  matin. 
Je  crois  revoir  l'enchanteresse 
Qui  garde  depuis  ma  jeunesse 
Mon  cœur  dans  sa  mifruonne  main. 


SOUVENIR.  91 


A  l'époque  où  le  muguet  pousse, 
—  O  souvenance  triste  et  douce  !  — 
Un  jour,  à  travers  la  forêt, 
Nous  cheminions.  La  tourterelle 
Chantait,  et  mon  amour,  comme  elle. 
Au  fond  de  mon  cœur  soupirait. 

Nos  pas  erraient  à  l'aventure. 
Tout  autour  de  nous,  la  nature 
Paraissait  prise  d'un  frisson  ; 
Les  hêtres  inclinaient  leurs  branches, 
Et  sur  leurs  tiges  les  per%-enches 
Se  haussaient  le  Ions;  du  buisson. 


Au  bord  des  étangs  solitaires. 
En  la  voyant,  les  salicaires 
Semblaient  se  réveiller  soudain 
Et  se  répéter  à  voix  basse  : 
«  Voici  la  jeunesse  et  la  grâce 
Qui  s'avancent  dans  le  chemin.  » 


Sur  la  feuillée  épanouie 
Tout  à  coup  une  fine  pluie 
Descendit  du  ciel  assombri, 
Et  sous  une  hutte  voisine, 
Au  toit  moussu  tout  en  ruine. 
Nous  courûmes  chercher  abri. 


C)2  LE     CIIÏÏMIX    DES    BOIS. 

Pauvre  demeure,  et  pourtant  chère  1 
L'averse  menue  et  légère 
D'un  bruit  frais  remplissait  le  bois; 
Au  loin,  les  cloches  de  la  ville 
Résonnaient,  et  dans  notre  asile 
Le  vent  d'est  apportait  leurs  voix. 

Elles  semblaient  me  chanter  :  —  «  Ose! 
Parle!  «  —  Et  ma  bouche  longtemps  close 
S'ouvrit  pour  dire  que  j'aimais... 
Aussitôt  sa  main  frémissante 
Referma  ma  lèvre  tremblante 
Avec  ce  simple  mot  :  —  Jamais  ! 


Jamais  !  —  Sur  mon  visage  encore 
Je  sens,  comme  un  feu  qui  dévore, 
Le  contact  de  ses  petits  doigts... 
Jamais!  —  Nous  quittâmes  la  hutte. — 
On  entendait  comme  une  flûte 
Le  loriot  au  fond  du  bois. 


Elle  écoutait,  p.'de,  oppressée  ; 

On  devinait  qu'en  sa  pensée 

Un  cruel  combat  se  livrait. 

Ses  yeux  essayaient  de  sourire, 

Et  nous  suivions  sans  rien  nous  dire 

La  lisière  de  la  forêt, 


SOUVENIR.  93 


Jamais  !  —  Les  bouleaux  et  les  charmes 
Secouaient. leurs  branches  en  larmes, 
Et  les  rossignols  des  entours 
Modulaient  dans  l'ombre  des  chênes 
L'hymne  des  incurables  peines 
Et  des  impossibles  amours. 


9-)  LE     CHEMIN'    DES    BOIS. 


Lied. 


Vo  s  yeux  sont  purs  comme  une  eau  vive . 
Au  travers  du  courant  profond 
On  voit  un  fin  sable  d'or  blond 
Luire  sous  l'onde  fuf^itive  ; 
Ainsi  votre  esprit  luit  au  fond 
De  vos  yeux  purs  comme  une  eau  vive. 

De  vos  lèvres  jusqu'à  vos  yeux 
Un  clair  sourire  va  sans  cesse. 
Tantôt  imprégné  de  tendresse, 
Tantôt  presque  malicieux, 
11  glisse  comme  une  caresse 
De  vos  lèvres  jusqu'à  vos  yeux. 

Vos  yeux  bruns  sont  comme  des  flèches 

Aux  fers  légers  et  frémissants; 

Mon  cœur  depuis  plus  de  dix  ans 

Garde  les  traces  encor  fraîches 

Du  mal  fait  par  vos  yeux  perçants. 

Vos  yeux  perçants  comme  des  flèches. 


L    ADIEU     AUX.     BOIS.                             95 
%. 


L'Adieu    aux    bols. 


BOUQUETS  de  saules,  nids  blottis 
Dans  la  grande  herbe, 
Sources  où  les  myosotis 


Montent  en  gerbe. 


Bois  de  la  ferme  aux  bleus  lointains, 

Futaie  en  pente 
D'où  l'on  entend  soirs  et  matins 

Le  coq  qui  chante; 

Vignes,  colline  aux  doux  contours. 

Heureuses  places. 
Frais  chemins  qui  de  mes  amours 

Gardez  les  traces  ; 


96  LE    CHEMIN    DES    BOI?. 


Prés  OÙ  le  narcisse  est  mêlé 
Aux  graminées, 

Forets  d'où  je  suis  exilé 
Pour  des  années  ; 


Ah!  quand  aux  nouvelles  saisons 

La  bien-aimée 
Effleurera  de  vos  gazons 

L'herbe  charmée, 

Quand  à  l'ombre  des  rameaux  verts 

Vous  verrez  luire 
Ses  lèvres  roses,  ses  yeux  clairs. 

Son  clair  sourire. 

Faites  pousser  toutes  vos  fleurs 

Sur  son  passage. 
Envoyez  toutes  vos  senteurs 

Vers  son  visage. 

Gouttes  d'eau,  perles  qu'aux  matins 

Le  vent  secoue, 
Roulez  sur  ses  cheveux  châtains 

Et  sur  sa  joue; 

Chantez-lui,  pinsons  et  ramiers. 

Ces  mélodies 
Dont  jadis  vous  accompagniez 

Nos  causeries. 


L    ADIEU     AUX     BOIS. 


97 


Et  vous,  véroniques  des  bois, 
Vous,  ses  marraines, 

Ouvrez  vos  fleurs  entre  ses  doigts. 
Sous  les  grands  chênes  ; 

Puis  parlez-lui,  prenez  ma  voix. 

Soyez  moi-même; 
Dites-lui  toutes  à  la  fois 

Comme  je  l'aime  ! 


13 


SYLVINE 


A    la   mémoire  de  mon   Père. 


:o 


Sylvine. 


En  haut,  la  salle  est  large  et  presque  démeublée. 
La  mort  est  sur  le  seuil.  —  Du  milieu  de  l'allée, 
On  entend  dans  la  nuit  râler  le  moribond, 
Vieillard  que  la  douleur  a  tordu  comme  un  jonc. 
La  blafarde  lueur  d'une  lampe  fumeuse 
Laisse  voir  son  grand  front  et  sa  face  anguleuse, 
Et  ses  yeux  noirs  au  fond  de  l'orbite  enfouis... 
Auprès  d'un  bénitier  où  trempe  un  brin  de  buis. 
Un  vieux  prêtre  est  assis  dans  la  pénombre,  et  prie. 
Soutenant  du  mourant  la  tête  endolorie. 
Un  jeune  homme  au  chevet  se  penche,  et  son  regard 
Triste  et  pieux  s'attache  à  ce  pâle  vieillard 
Qui  souffre  sans  se  plaindre  et  meurt  sans  épouvante. 
Au  dehors,  l'ouragan  déchaîné  se  lamente; 
Au  dedans,  sur  les  murs,  les  portraits  des  aïeux, 
Des  splendeurs  d'autrefois  seuls  débris  précieux. 
Contemplent  gravement  leur  race  à  l'agonie. 
—  O  sires  de  Paulmy,  vous  dont  la  baronnie 


102  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Valait  des  marquisats  et  des  principautés, 
Vous  dont  les  chdteaux-forts  menaçaient  les  cites, 
Puissants  seigneurs  terriens,  ruisselants  de  richesses, 
Prélats  et  maréchaux,  chambellans  et  comtesses. 
Penchez-vous!  Regardez,  longues  files  d'aïeux, 
Ce  que  le  temps  a  fait  de  vos  derniers  neveux  !... 
Sous  le  plus  pauvre  toit  d'un  faubourg  populaire. 
Le  vieux  Marc  de  Paulmy  va  mourir  de  misère. 

Le  vieillard  se  leva  brusquement,  puis  il  prit 

Entre  ses  doigts  les  mains  du  jeune  homme,  et  lui  dit  : 

«  Mon  fils,  je  sens  la  mort  qui  plane  sur  ma  couche  ; 

Avant  donc  que  sa  main  de  marbre  ait  clos  ma  bouche, 

Écoute-moi.  —  L'esprit  de  ce  siècle  est  mauvais, 

A  sou  œuvre  maudit  ne  travaille  jamais. 

Sois  fier!  Tous  tes  aïeux  furent  des  gens  d'épée. 

Fais-toi  comme  eux  une  âme  austère  et  bien  trempée; 

Ne  mêle  pas  ton  nom  à.  des  trafics  d'argent, 

Surtout  ne  sois  jamais  manœuvre  ni  marchand. 

Reste  pauvre  et  sois  fier.  Sois  fier!  que  dans  ton  ame 

Ces  mots  soient  à  jamais  gravés;  qu'en  traits  de  flamme 

Ils  éclairent  la  nuit  ^on  rêve,  et  qu'au  matin 

Ils  résonnent  pour  toi  comme  un  timbre  d'airain  !...  » 

Il  s'était  soulevé  sur  son  lit,  et  la  fièvre 

Illuminait  ses  yeux  et  pâlissait  sa  lèvre; 

Dans  son  cœur  le  vieux  sang  des  ancêtres  battait. 

Lazare  l'entourait  de  ses  bras  et  sentait 

Je  ne  sais  quoi  de  fort  passer  dans  tout  son  être... 

Mais  la  voix  fit  silence.  «  Il  est  mort,  »  dit  le  prêtre 


SYLVINE.  10  5 


En  aspergeant  le  corps  avec  le  buis  bénit. 
L'ombre  envahit  Lazare,  et  la  salle  s'emplit 
D'obscures  visions  aux  mornes  attitudes; 
Il  entendit  le  vent  glacé  des  solitudes 
Pleurer  dans  la  maison,  et  vit,  épouvanté, 
Le  deuil  et  l'abandon  s'asseoir  à  son  côté. 


En  bas,  la  cave  est  nue  et  la  nuit  l'environne. 
Les  premières  clartés  d'un  pale  jour  d'automne 
Pénètrent  lentement  jusqu'au  fond  du  cellier 
Où  Rocli  le  tisserand  a  fait  son  atelier... 
La  mort  entre  avec  eux.  —  Sur  sa  pauvre  couchette 
Une  enfant  de  quatre  ans  gît  fiévreuse  et  muette  ; 
Encore  un  mouvement,  un  dernier  spasme  encor. 
Pareil  au  doux  frisson  d'un  oiseau  qui  s'endort, 
Puis  plus  rien...  La  voilà  morte  et  déjà  livide! 
Son  âme  blanche  fuit,  loin  de  la  cave  humide. 
Vers  ce  ciel  des  enfants,  tout  bleu,  tout  radieux. 
Où  la  douleur  jamais  ne  fait  pleurer  leurs  yeux. 
Le  petit  corps  glacé  reste  sur  la  couchette; 
Ses  traits  sont  beaux  malgré  leur  pâleur  violette, 
Car  l'enf^mce  est  bénie,  et  son  charme  est  si  fort 
Qu'il  triomphe  et  persiste  au  delà  de  la  mort. 
Tout  autour  du  berceau  la  famille  est  groupée  : 
La  mère,  anéantie  et  de  stupeur  frappée, 
Semble  dans  son  malheur  une  autre  Niobé; 
Le  père,  maître  Roch,  vers  l'enfant  s'est  courbé, 
Anxieux,  incrédule. — A  ses  pieds,  un  jeune  homme. 


104  ^^    CHEMIN    DES    BOIS; 


Un  pauvre  estropié,  blême  et  cliétif,  qu'on  nomme 
Jean  Caillou  le  Jlûleur,  sanglote,  et  lentement 
Entre  ses  maigres  doigts  roule  un  jouet  d'enfant, 
La  pale  sœur  ainée,  adossée  à  la  porte, 
Taille  dans  une  robe  un  linceul  pour  la  morte. 
Elle  est  grave  et  pensive,  elle  est  belle  ;  non  pas 
De  la  beauté  des  lis,  des  roses,  des  lilas, 
Cette  beauté  splendide  et  pleinement  éclose, 
La  beauté  des  heureux; — non,  mais  tout  autre  chose  : 
Un  charme  intérieur,  pénétrant,  concentré; 
Un  maigre  et  fier  visage  ardemment  éclairé 
Par  deux  j-eux  bruns  profonds  où  la  vie  étincelle, 
Purs  comme  l'eau  de  source  et  limpides  comme  elle  ; 
Un  front  large  où  l'on  sent  l'effort  victorieux 
De  l'âpre  volonté;  de  noirs  cheveux  soyeux 
Effleurant  un  cou  blanc  ;  —  telle  apparaît  Sylvine. 
Rien  qu'aux  sobres  contours  de  son  sein,  l'on  devine 
Un  lumineux  esprit  répandant  son  éclat 
Dans  ce  corps  transparent,  suave  et  délicat. 

Cependant  le  jour  croit  dans  la  cave.  Le  père 
Se  lève  brusquement,  et  d'une  voix  sévère  : 
«  Elle  est  morte,  dit-il,  vous  pourriez  sangloter 
Pendant  plus  de  cent  ans  sans  la  ressusciter. 
Assez  pleuré!  La  mort  clémente  l'a  ravie 
A  l'heure  où  l'on  ne  voit  que  le  beau  de  la  vie; 
Tant  mieux!  Elle  n'aura  là-haut  ni  froid  ni  faim, 
Et  ne  connaîtra  pas  l'horreur  des  jours  sans  pain. 
Nous  qui  lui  survivons,  songeons  ;'i  notre  tache. 


SYLVINE,  105 


Perdre  son  temps  en  pleurs  est  inutile  et  lâche; 

Les  pauvres  gens  n'ont  pas  le  loisir  de  pleurer. 

Entends-tu,  Jean  Caillou  ?  Cesse  de  soupirer. 

Allons,  je  ne  veux  plus  voir  de  regards  humides!  » 

Et  Roch,  le  tisserand  aux  paroles  rigides. 

S'assied  à  son  métier;  mais,  malgré  ses  efforts, 

Sa  douleur  se  révolte  et  jaillit  au  dehors. 

Il  étouffe,  son  cœur  bondit,  ses  yeux  se  mouillent. 

Et  sous  ses  doigts  tremblants  les  fils  croisés  se  brouillent. 

Un  moment  comprimés,  les  pleurs  coulejit  à  flots, 

Et  le  sombre  logis  retentit  de  sanglots. 


'4 


Io6  m;    CHliMtX    DES    BOIS. 


Il 


IL  est  midi.  L;iz.uc  est  seul  au  cimetière. 
Assis  près  de  la  fosse  où  l'on  a  mis  son  père, 
Et  de  cruels  peiisers  au  cœur  de  l'orphelin 
Fermentent  sourdement,  comme  un  aigre  levain. 
Il  sent  la  pauvreté  resserrer  à  chaque  heure 
Son  cercle  impitoyable  autour  de  sa  demeure, 
Et  par  delà  le  mur  de  l'étroite  prison. 
Il  entrevoit  le  monde  à  l'immense  horizon 
Où  la  foule  s'agite  et  se  répand,  confuse 
Comme  l'eau  bouillonnante  au  sortir  de  l'écluse; 
Le  monde  qui  sourit,  qui  chante  et  resplendit, 
Et  qu";i  son  lit  de  mort  le  vieux  Marc  a  maudit. 
Près  de  lui  tout  est  noir,  là-bas  tout  est  lumière. 
—  Le  mineur  qui  se  creuse  un  chemin  sous  la  terre 
Et  dont  les  tristes  jours  ressemblent  à  des  nuits, 
Parfois  lève  la  tète,  et  du  fond  de  son  puits 
Regarde  en  soupirant  la  lointaine  ouverture 
Q.ui  conduit  au  soleil,  à  l'air,  à  la  verdure.  — 
Du  fond  de  la  misère  et  de  l'isolement. 
Ainsi  L.izare  aspire  à  ce  monde  charmant, 


SYLVIXE.  107 

Et  dans  sa  lutte  avec  ce  désir  indocile. 

Comme  une  flariime  au  vent,  sa  volonté  vacille... 

Mais  voici  qu'à  l'abri  des  saules  frémissants 

Une  ouvrière  en  deuil  s'achemine  à  pas  lents. 

C'est  Sylvine.  L'oiseau  qui  saute  sur  la  mousse 

Et  la  feuille  des  bois  qui  tombe  sans  secousse, 

Se  posent  sur  le  sol  avec  moins  de  douceur 

Q.ue  SCS  deux  pieds  légers.  Elle  apporte  à  sa  sœur 

Les  humbles  ornements  des  tombes  plébéiennes,  — 

Des  fleurs  des  champs  :  —  asters  et  grappes  de  troènes, 

Campanules  d'automne  et  pâles  serpolets. 

Gentianes  des  bois  aux  reflets  violets, 

Scabieuses  lilas,  bruyères,  vipérines... 

Comme  les  deux  logis,  les  tombes   sont  voisines; 

Elle  arrive  à  la  place  où  dort  sous  le  gazon 

L'enfant  du  tisserand  auprès  du  vieux  baron. 

Et  tout  en  disposant  ses  fleurs  dans  l'herbe  humide, 

Elle  songe  au  logis  muet,  au  berceau  vide, 

A  la  mignonne  enfiint  que  le  ciel  lui  reprit... 

Elle  était  si  vivante  et  de  corps  et  d'esprit! 

Rieuse  et  remuée,  active  et  caressante. 

Elle  allait  et  venait  dès  l'aube  blanchissante. 

S'agitant  tout  le  jour,  lorsque  approchait  le  soir, 

Sur  sa  petite  chaise  elle  se  laissait  choir. 

Et  l'on  voyait  fléchir  sa  tête  appesantie 

Comme  une  rose  en  fleur  par  l'ondée  alourdie... 

Sur  ses  lèvres  un  jour  le  rire  s'est  éteint, 

La  fièvre  et  l'insomnie  ont  fait  palir  son  teint  ; 

Elle  est  morte  ! . . .  Sylvine  en  tremblant  s'agenouille, 


I08  LE    CHEMIN    DES    BOIS. 

Son  sein  gonflé  frissonne  et  son  regard  se  mouille. 
Le  jeune  homme  est  ému.  Cette  grave  beauté, 
Cette  noblesse  unie  à  tant  de  pauvreté, 
Font  battre  doucement  son  cœur  dans  sa  poitrine... 

Après  avoir  prié  sur  la  fosse,  Sylvine 
Se  relève  et  s'éloigne,  et  Lazare  pensif 
L'admire  et  suit  des  yeux,  de  massif  en  massif. 
Sa  marche  harmonieuse  entre  les  tombes  blanches. 
Un  autre  aussi  la  suit  de  loin  parmi  les  branches  : 
C'est  Jean  Caillou  rêveur...  A   Lazare,  en  fuyant. 
Il  lance  un  noir  regard,  farouche  et  méfiant... 


STLVINE.  109 


III 


PARMI  tous  les  foyers  de  lumière  idéale, 
La  clarté  la  plus  pure  et  la  plus  amicale, 
O  lune,  c'est  la  tienne!  —  A  l'heure  où  le  soleil 
S'éteint  dans  les  vapeurs  de  l'occident  vermeil, 
Tu  sors  timidement  de  ta  calme  retraite  ; 
Sur  ton  trône  d'argent  tu  te  glisses  discrète, 
Et  des  étoiles  d'or  le  peuple  harmonieux 
Dispose  autour  de  toi  ses  chœurs  silencieux. 
O  Cynthia  Phœbé,  ta  lumière  sacrée 
Sur  la  terre  qui  dort  tombe  chaste  et  nacrée. 
Le  moindre  pli  du  sol  par  elle  est  visité  : 
Dans  la  mousse  qu'effleure  un  rayon  velouté. 
L'hyacinthe  sauvage  entr'ouvre  ses  calices; 
Sitôt  que  tu  parais,  les  bois  avec  délices 
Bercent  leurs  frais  rameaux  baignés  de  ta  lueur; 
Les  grands  bœufs  assoupis  dans  les  pâtis  en  fleur 
Ouvrent  leurs  doux  regards  quand  tu  sors  de  la  nue. 
Et  leurs  mugissements  accueillent  ta  venue  ; 
Les  nids  chantent  ;  la  mer  enfle  ses  flots  houleux. 
Et  soulève  vers  toi  son  sein  tumultueux... 
A  travers  les  carreaux  d'une  pauvre  cellule, 
Tu  pénètres  ce  soir  avec  le  crépuscule. 


IIO  LE    CHEMIN     DES     BOIS. 

O  lune!  et  ta  lueur  éclaire  le  réduit 

Où  Jean  Caillou  s'enferme  au  tomber  de  la  nuit. 

Les  murs  sont  froids  et  nus  ;  au  bord  de  la  croisée, 

Le  seul  trésor  du  maitre,  une  flûte,  est  posée. 

—  Dans  le  fond  de  son  cœur  Jean  caclie  à  tous  les  yeux 

Un  amour  contenu,  chaste  et  m\-stérieux. 

Il  arrive  ce  soir  d'une  course  lointaine; 

Il  est  las,  il  est  triste,  et  sa  poitrine  est  pleine 

De  sanglots  refoulés.  Il  ouvre  le  battant 

De  sa  vitre.  La  pluie  a  cessé,  l'on  entend 

Des  gouttes  d'eau  rouler  sur  les  feuillages  sombres 

Et  le  crapaud  plaintif  chanter  dans  les  décombres; 

Les  rapides  métiers  des  maitres  tisserands 

Font  résonner  au  loin  leurs  accords  déchirants. 

Jean,  qui  fixe  les  yeux  sur  la  cave  voisine, 

Voit  tout  à  coup  briller  la  lampe  de  Sylvine. 

Alors  il  prend  sa  flûte,  et  dans  la  calme  nuit 

Un  chant  mélancolique  et  doux  s'épanouit. 

Cet  air  touchant,  les  mots  pourraient  le  reproduire, 

Tant  il  exprime  bien  ce  que  le  cœur  veut  dire!... 

Aux  vitres  de  Lazare  ainsi  qu'au  seuil  de  Jean, 

La  lune  ce  soir-là  lance  un  rayon  d'argent, 

Et  comme  le  flûteur,  Lazare  à  la  croisée 

Est  assis,  et  Sylvine  occupe  sa  pensée. 

Mais  s'il  l'aime,  pourquoi  ces  rougeurs  sur  son  front 

Et  cette  inquiétude,  et  ce  trouble  profond  ? 

On  croit  voir  scintiller,  comme  un  éclair  qui  passe. 

Au  fond  de  ses  yeux  bleus  tout  l'orgueil  de  sa  race. 


s  Y  L  V I X  E  .  m 


Il  tressaille  ;  on  dirait  que  son  père  mourant 

Revient  pour  lui  crier  :  «  Souviens-toi  de  ton  rang  !» 

Un  violent  combat  se  livre  dans  son  âme. 

Cependant  l'huile  meurt  dans  la  lampe,  la  flamme 

S'évanouit,  et  seul,  ton  croissant  argenté, 

O  lune,  verse  encore  une  blanche  clarté. 

On  n'entend  plus  au  loin  qu'une  flûte  plaintive 

Dont  le  chant  triste  et  doux  jusqu'au  jeune  homme  arrive. 

Encore  un  faible  son  qui  se  perd,  et  le  bruit 

S'envole,  et  tout  s'endort  dans  la  paix  de  la  nuit. 


112  LE  cki;mi>j   des  bois. 


IV 


ALLUMEZ  un  grand  feu.    Faites  flamber  dans  l'atre 
Des  pommes  de  sapin  à  la  flamme  bleuâtre, 
Voici  venir  l'hiver  sur  son  char  de  glaçons, 
Trainé  par  les  corbeaux  aux  sinistres  chansons. 
11  se  hàie,  et  le  ciel  sur  ses  pas  devient  sombre. 
Qu'ont  fait  les  bois  de  leurs  oiseaux  et  de  leur  ombre. 
De  leurs  plantes  en  fleurs  et  de  leurs  papillons? 
Mornes  sont  les  forêts  et  mornes  les  sillons  ; 
La  terre  se  morfond  dans  sa  robe  de  veuve  ; 
Voici  l'hiver,  voici  les  jours  noirs  de  l'épreuve. 
Ëcoutcz  !  L'ouragan  se  déchaine,  et  sa  voix 
Hurle  pendant  la  nuit  comme  un  chien  aux  abois. 
Allumez  un  grand  feu.  La  neige  sur  la  terre 
Tombe,  tombe  sans  bruit,  délicate  et  légère. 
Et  sa  blancheur  revêt  les  champs  silencieux 
Jusqu'à  l'horizon  vague  où  se  perdent  les  yeux. 
Le  froid  pique,  le  givre  a  fleuri  la  fenêtre  ; 
Sur  les  chenets  trapus  jetez  des  troncs  de  hêtre. 
Que  les  pommes  de  pin  pétillent  au  milieu  ; 
Jetez-en  plus  encore,  allumez  un  grand  feu  I 

Hélas!  le  feu  béni,  la  parure  et  la  joie 

De  l'hiver,  le  brasier  rougcaire  qui  flamboie 


s  Y  L  V 1 N  E.  113 


Et  nous  fait  croire  encore  à  la  chaude  saison, 
Plus  d'un  ne  le  voit  pas  luire  dans  sa  maison  ! 
Durant  les  mois  glacés,   dans  plus  d'un  âtre  vide 
La  neige  seule  vient  joncher  la  pierre  humide. 
Et  parmi  ces  foyers  sans  flamme,  au  premier  rang 
Est  le  foyer  désert  de  Roch  le  tisserand. 

Roch  travaille,  Sylvine  est  absente,  et  la  mère 

Est  malade.  La  cave  est  comme  une  glacière. 

L'apre  vent  de  la  nuit,  par  le  châssis  mal  clos 

Pénètre  avec  un  bruit  pareil  à  des  sanglots, 

Et  Roch,  pour  réchauffer  ses  membres  qui  frissonnent. 

S'acharne  à  son  métier,  et  les  leviers  résonnent, 

Et  la  navette  vole.  —  Un  coup  faible  et  discret 

Soudain  pousse  la  porte,  et  Lazare  paraît. 

Il  s'arrête,  il  hésite  et,  plein  d'incertitude, 

Se  tait.  «  Que  voulez-vous  ?  »  dit  Roch  d'une  voix  rude. 

Et  le  jeune  homme  alors,  maîtrisant  son  émoi. 

Au  maître  tisserand  répond  :  «  Pardonnez-moi, 

Si  ma  parole  tremble  et  se  fait  mal  entendre. 

C'est  que  d'un  mot  de  vous  mon  repos  va  dépendre  ; 

Le  bonheur  de  ma  vie  est  tout  entier  ici. 

Je  me  nomme  Lazare  Engilbert  de  Paulmy  ; 

Mon  père  est  mort,  je  vis  comme  vous  solitaire, 

Et  pauvre  comme  vous.  Un  jour,  au  cimetière. 

J'ai  rencontré  Sylvine,  et  sa  hère  douleur 

Et  sa  chaste  beauté,  m'ont  pénétré  le  cœur... 

Je  l'aime...  je  voudrais  lui  découvrir  mon  àme 

Et  lui  dire  :  Soyez  ma  sœur,  soyez  ma  femme. 


114  LF.     CHEMIN'     DES    BOIS. 

Je  l'aime!...  Maître  Rocli,  répondez,  voulez-vous 

Que  je  sois  votre  fils,  que  je  sois  son  époux  ?  » 

Le  tisserand  se  lève  et  fait  d'un  pas  rapide 

Deux  ou  trois  fois  le  tour  de  sa  demeure  humide. 

Il  regarde  Lazare,  il  est  comme  ébloui, 

Et  pendant  un  moment  son  front  épanoui 

Est  radieux  d'orgueil,  de  surprise  et  de  joie... 

Mais  ce  n'est  qu'un  éclair,  un  rajon  qui  se  noie 

Dans  la  brunie.  «  Oubliez,  dit-il,  ces  rêves  fous  !... 

Vous  êtes  malheureux  et  pauvre  comme  nous!... 

Mais  ce  n'est  pas  assez  d'une  même  détresse 

Pour  que  toute  barrière  entre  nous  disparaisse. 

Jour  et  nuit,  comme  nous,  travaillez-vous  aussi  ? 

Non  !...  Eh  bien  1  en  ce  cas,  je  refuse,  merci  ! 

Nous  avons  comme  vous  notre  orgueil  et  nous  sommes, 

Remplis  de  préjugés  comme  des  gentilshommes. 

Au  bouvreuil  le  gerfaut  ne  s'accouple  jamais. 

Il  plane  solitaire  au  milieu  des  forets. 

Oubliez  tout  ainsi  que  l'on  oublie  un  rêve 

Au  lever  du  soleil!..  »  Et  tandis  qu'il  achève, 

Sj-lvine,  p.âle  et  grave,  apparaît  sur  le  seuil. 

Son  visage,  entoure  de  sa  coiffe  de  deuil. 

Est  comme  un  blanc  lotus  ouvrant  sa  fleur  nocturne 

Sur  les  dormantes  eaux  de  l'étang  taciturne. 

Le  jeune  homme  tressaille  à  sa  vue,  et  leurs  yeux 

Se  rencontrent;  —  tous  deux,  tristes,   silencieux, 

Echangent  un  regard,  —  puis,  en  courbant  la  tcte, 

Lazare  sort  et  fuit  à  travers  la  tempête. 


s  V  r.  \- 1 X 1-.  1 1  ; 


\' 


COMME  un  cert  qu'on  relance  au  fond  de  la  forêt, 
Lazare  dans  le  vent  et  dans  l'ombre  courait. 
Il  avait  dépassé  les  faubourgs,  et  la  plaine 
Brumeuse  s'étendait  devant  lui.  —  Hors  d'haleine, 
La  tête  en  feu,  l'esprit  troublé  comme  le  cœur. 
Il  allait  au  hasard,  chassé  par  la  douleur. 
Et  dans  la  nuit  parfois,  quand  ses  jambes  lassées 
Fléchissaient,  s'il  voulait  s'arrêter,  ses  pensées, 
Pareilles  à  la  meute  au  son  des  cors  vainqueurs, 
Dans  son  sein  tourmenté  commençaient  leurs  clameurs. 
Il  traversa  les  prés,  il  gagna  la  lisière 
D'un  grand  bois,  et  tandis  qu'au  loin,  dans  la  clairière, 
Les  loups  hurlaient  la  faim,  il  s'arrêta  brisé 
Et  se  laissa  tomber  au  rebord  d'un  fossé. 
Alors  il  entendit  la  meute  des  pensées 
Recommencer  en  lui  ses  clameurs  courroucées. 
Les  lamentations  redoublaient.  —  Cette  fois, 
Le  front  dans  ses  deux  mains,  il  écouta  leurs  voix  : 
«  Hélas  !  qu'est  devenu  ton  amour  ?  disaient-elles  ; 
Hier,  comme  un  doux  nid  de  jeunes  tourterelles 
Qui  gazouillent  au  haut  d'un  chêne  verdissant, 
Il  chantait,  et  voilà  que  l'orage  puissant 
A  renversé  dans  l'herbe  et  le  nid  et  le  chêne... 
Et  ton  orgueil?  Du  fond  de  ton  âme  hautaine 


Il6  LE    CHEMIM    DES    BOIS. 

Il  jaillissait  bruyant,  superbe,  impétueux, 

Comme  un  torrent  grossi  par  les  vents  orageux... 

Tu  croyais  qu'au  seul  bruit  de  ton  nom  de  famille 

Ce  père  dans  tes  bras  allait  jeter  sa  fille  ; 

O  honte  !  il  te  refuse  et  t'estime  trop  bas  : 

Tu  n'es  pas  de  son  rang,  —  tu  ne  travailles  pas  ! 

Le  travail!...  Comprends-tu  maintenant  les  mjstères, 

Les  vertus  de  ce  mot  aux  syllabes  austères  ? 

Comprends-tu  qu'il  n'est  rien  de  plus  grand  qu'un  devoir. 

Et  que  l'oisiveté  seule  nous  fait  déchoir  ? 

Tes  pères  ont  gagné  leur  nom  avec  l'épée  ; 

La  terre  avait  besoin  alors  d'être  trempée 

D'une  sueur  de  sang,  et  c'était  travailler. 

Dans  cet  âge  de  fer,  que  de  bien  batailler. 

Leur  épée  aujourd'hui  par  la  rouille  est  ternie. 

Prends  un  outil  !  —  Pour  vaincre  au  combat  de  la  vie^ 

L'homme  n'est  plus  forcé  de  répandre  le  sang. 

Et  le  plus  humble  outil  vaut  l'épée  à  présent. 

L'action  guérira  ton  cœur  blessé  qui  pleure. 

Debout!  prends  un  outil...  Tu  n'étais  tout  à  l'heure 

Q.u'un  fragile  roseau  par  les  vents  agité; 

A  partir  d'aujourd'hui,  sois  une  volonté.  » 

Assis  au  pied  d'un  hêtre,  ainsi  pendant  des  heures 
Il  écouta  monter  ces  voix  intérieures. 
Un  temple  de  mensonge  en  so.n  esprit  croula. 
Il  lui  sembla  qu'un  monde  inconnu  jusque-là 
Ouvrait  devant   ses  j-eux  de  longues  perspectives. 
—  La  nuit  se  dissipait,  les  ombres  fugitives 


SYLVIKE. 


S'envolèrent,  et  l'aube  à  l'orient  blanchit. 
Dans  un  clocher  lointain  VAiigclus  retentit. 
O  clairs  sons,  précurseurs  de  l'aurore  vermeille, 
A  vos  chants  argentins  la  terre  se  réveille. 
Aube  du  jour,  tu  rends  les  chansons  à  l'oiseau. 
Le  sourire  à  l'enfant  couché  dans  son  berceau  ; 
Salut,  aube  du  jour!  ta  clarté,  comme  un  phare, 
Vers  un  monde  nouveau  va  diriger  Lazare. 

Comme  il  s'en  revenait,  il  entendit  des  voix 
Chanter  dans  le  chemin  qui  conduit  au  grand  bois. 
C'étaient  des  bûcherons  qui  partaient.  A  leur  tête 
Marchait  Jean  le  Auteur,  et  leur  fier  chant  de  fcte. 
Soutenu  par  la  flûte  aux  notes  de  cristal, 
S'envolait  emporté  par  le  vent  matinal  : 

«  Voici  les  bûcherons,  les  francs  coupeurs  de  chênes. 
Par  la  neige  ou  la  pluie  ils  font  leur  dur  métier  ; 
Dès  que  le  jour  commence,  en  route  !  Le  gibier 
Ne  rôde  pas  plus  qu'eux  dans  les  forêts  lointaines; 
Leurs  jarrets  sont  de  fer,  leurs  muscles  sont  d'acier. 
,  Voici  les  bûcherons,  les  francs  coupeurs  de  chênes. 

«  L'arbre,  dans  le  taillis  comme  un  géant  campé, 
Au-dessus  du  chemin  dressait  sa  grande  taille  ; 
Son  tronc  large  et  noueux  semblait  une  muraille... 
Dans  l'herbe  le  voilà  gisant...  Qui  l'a  frappé  ? 
Ce  sont  les  bûcherons,  ils  ont  comme  une  paille 
Brisé  l'arbre  géant  dans  le  taillis  campé. 


Il8  LE    CHEMIN'     DES    BOIS. 

«  dui  nourrit  de  charbon  la  fournaise  béante. 

Où  l'on  coule  la  fonte,  où  l'on  for^e  le  fer  ? 

Q.ui  fournit  leurs  grands  mats  aux  vaisseaux  de  la  mer? 

Q.ui  donne  à  la  maison  sa  porte  et  sa  charpente  ? 

Qui  fait  luire  dans  l'atre  un  soleil  en  hiver, 

Et  nourrit  de  charbon  la  fournaise  béante  ? 

«  Ce  sont  les  bûcherons.  —  Leur  bras  n'est  jamais  las. 
Parfois,  quand  la  foret,   de  brouillards  imprégnée. 
Fait  silence  l'hiver,  le  bruit  d'une  cognée 
Ou  d'un  chcne  qui  roule  et  tombe  avec  fracas. 
Retentit  dans  le  fond  d'une  combe  éloignée... 
Ce  sont  les  bûcherons,  leur  bras  n'est  jamais  las. 

«  Honneur  aux  bûcherons,  aux  francs  coupeurs  de  chênes  ! 

Ils  n'ont  pas  sitôt  mis  le  pied  hors  du  taillis. 

Qu'ils  se  sentent  le  cœur  pris  du  mal  du  pays. 

Au  bois  est  leur  patrie,  au  bois  sont  leurs  domaines; 

Leurs  fils  y  grandiront  près  des  pères  vieillis. 

Les  fils  des  bûcherons,  d.cs  francs  coupeurs  de  chênes!  » 

«  Où  vous  en  allez-vous  ?  dit  Lazare  aux  chanteurs. 
Où  vous  en  allez-vous,  ô  joyeux  travailleurs  ? 

—  Au  grand  bois,  répondit  le  plus  vieux  de  la  troupe, 
Nous  allons  étrcnner  une  nouvelle  coupe... 

—  Voulez-vous  m'accepter  pour  votre  comp.agnon  ? 
Dit  Lazare  Engilbertde  Paulmy.  —  Pourquoi  non? 
Si  vous  savez  planter  la  hache  au  cœur  d'un  hêtre. 
Vous  serez  bien  reçu.  Venez  parler  au  maître, 


SYLVINE.  1x9 


Ce  soir,  vers  la  nuit  close,  à  la  Ventc-du-Roi . 

—  Eh  bien  !  s'éçria-t-il,  ce  soir  comptez  sur  moi  !  » 


Le  soir  vint.  Du  départ  l'horloge  marqua  l'heure. 
Lazare  en  soupirant  jeta  sur  sa  demeure 
Un  suprême  regard,  et,  saluant  des  yeux 
Les  vieux  meubles  fonés,  les  portraits  des  aïeux. 
Il  partit.  Sur  l'épaule  il  portait  sa  cognée, 
Et  sa  main  fièrement  en  pressait  la  poignée. 
La  rue  était  déjà  ténébreuse,  et  le  bruit 
Des  métiers  haletants  résonnait  dans  la  nuit. 
Il  gagna  le  chemin  de  la  Samaritaine  ; 
Là,  sous  des  marronniers,  jaillit  une  fontaine; 
Les  femmes  du  faubourg  vont  emplir  vers  le  soir 
Leurs  seilles  de  sapin  dans  le  clair  réservoir. 
Au-dessus  de  la  source  à  grand  bruit  épanchée 
Il  vit  dans  la  pénombre  une  forme  penchée, 
Et  reconnut  Sylvine.  Il  s'approcha  soudain  : 
K  Je  pars,  s'écria-t-il,  donnez-moi  votre  main  ; 
Je  m'en  vais,  l'âme  triste,  hélas  !  mais  résignée; 
Me  voici  bûcheron,  regardez  ma  cognée... 
Serez-vous  libre  encor  lorsque  je  reviendrai  ? 

—  Je  vous  aime,  dit-elle,  et  je  vous  attendrai...  » 
Elle  voulait  quitter  la  source  au  chant  sonore'. 
Mais  Lazare  :  «  Oh  restez  !    parlez,  parlez  encore. 
Les  seuls  biens  que  j'emporte  avec  moi  sont  les  mots. 
Les  chastes  mots  d'amour  sur  vos  lèvres  éclos...» 

—  Sans  l'ombre  on  eut  pu  voir  la  rougeur  de  Sylvine 


I20  CHEMIN    DES    BOIS. 

Et  les  frémisscineiits  de  sa  jeune  poitrine 
Sous  le  corsage  noir.  —  Le  calme  de  la  nuit 
Aux  aveux  succéda,  puis  un  faible  et  doux  bruit... 
Étaient-ce  les  soupirs  de  l'onde  aux  flots  limpides, 
Ou  le  susurrement  de  deux  baisers  rapides?... 
Sylvine  s'enfonça  dans  l'ombre  lentement. 

O  charme  de  l'amour,  ô  pur  enivrement  1 

Comme  Lazare  alors  vers  les  bois  prit  sa  course  ! 

Il  marchait  d'un  pas  ferme,  et  la  voix  de  la  source 

Semblait  l'accompagner  de  son  chant  clair  et  frais. 

Bien  que  la  nuit  fût  noire  et  le  brouillard  épais, 

Il  croyait  voir  au  ciel  des  étoiles  sans  nombre 

Lui  sourire  à  travers  la  foret  haute  et  sombre  ; 

O  pur  enivrement,  ô  charme  de  l'amour  !... 

Et  la  nuit  s'avançait,  et  dans  le  carrefour 

De  la  Vcntc-du-Roi,  de  grands  feux  de  bruyères 

Projetaient  leurs  clartés  rouges  sur  les  clairières. 

Les  bûcherons,  assis  tout  autour  du  brasier, 

Pour  le  nouveau  venu,  chantaient  à  plein  gosier 

Ce  refrain  qui  vibrait  dans  les  combes  lointaines  : 

«  Voici  les  bûcherons,  les  francs  coupeurs  de  chênes  !  » 


SYLVINE.  121 


VI 


LAZARE  est  dans  les  bois,  et  du  matin  au  soir 
Sa  hache,  sans  répit,  fait  son  rude  devoir. 
Cette  nouvelle  vie  a  d'austères  prémices; 
La  cognée  a  d'abord  meurtri  ses  mains  novices, 
Rompu  ses  bras,  courbé  ses  reins...  Sa  volonté 
A  puisé  dans  l'amour  un  courage  indompté. 
L'amour  a  fait  courir  un  sang  frais  dans  ses  veines. 
Le  voilà  maintenant  qui  coupe  les  vieux  chênes 
Aussi  facilement  que  des  brins  de  genêt. 
Il  aime  son  métier,  —  il  aime  la  forêt... 
La  forêt,  qui  revêt  les  monts  de  sa  ceinture 
Et  berce  dans  le  vent  ses  masses  de  verdure. 
C'est  notre  mer  à  nous,  Lorrains  et  Bourguignons, 
Gens  des  pays  de  l'est  et  du  nord.  —  Les  Bretons 
Ont  l'Océan  terrible,  immense,  aux  eaux  fécondes; 
Nous  avons  les  forêts  sonores  et  profondes. 
Quand  loin  du  sol  natal  nous  errons  vers  le  soir, 
Souvent  à  l'horizon  nous  croyons  les  revoir. 
La  nuit,  dans  l'ouragan  qui  siffle  et  se  lamente, 
Nous  croyons  distinguer  votre  voix  mugissante, 
O  bois  de  mon  pays  !  —  Ainsi  qu'au  fond  des  mers, 
Parmi  les  profondeurs  de  vos  abimes  verts, 
Une  vie  incessante  éclôt;  des  milliers  d'êtres. 
Un  monde  merveilleux  sous  la  voûte  des  hêtres 

16 


122  LE    CHEMIN     DES    BOIS. 

Pullule,  et  ses  amours,  ses  chants,  ses  floraisons, 

Tour  à  tour  prennent  place  au  cercle  des  saisons. 

En  mars,  quand  le  soleil  lance  ses   jeunes  flèches, 

Tout  un  peuple  de  fleurs  perce  les  feuilles  sèches  : 

Dans  l'onde  des  ruisseaux  tremblent  les  boutons  d'or, 

Les  narcisses  rêveurs  se  penchent  sur  le  bord. 

Et  les  taillis  sont  pleins  de  jaunes  primevères. 

Avril,  avril  commence  !  Un  bruit  d'ailes  légères 

l-rémit  dans  les  rameaux  des  arbres  reverdis. 

Voici  les  doux  chanteurs  des  bois,  voici  les  nids  ! 

Et  muguets  de  fleurir  à  côté  des  pervenches, 

Et  concerts  printaniers  d'éclater  dans  les  branches. 

«  Gué  !  gué  !  soyons  joyeux!  dit  le  merle.  — Aimons-nous 

Chante  le  rossignol.  —  Hàtez-vous  !  hâtez-vous  !  » 

Répète  le  coucou  d'un  ton  mélancolique... 

Le  printemps  fuit,  et  juin,  comme  un  roi  magniiîque. 

Vêtu  de  pourpre  et  d'or,  apparaît  dans  les  champs. 

Les  herbes  des  fourrés  jaunissent,  et  les  chants 

S'apaisent;  dans  le  fond  des  combes  retirées. 

Au  clair  de  lune,  on  voit  les  biches  altérées 

Venir  avec  leurs  faons  tondre  les  jeunes  brins 

Imbibés  de  rosée.  —  Aux  marges  des  chemins 

Les  fraises  ont  rougi,  les  framboises  sont  mûres; 

Parmi  les  merisiers  aux  mobiles  rainures. 

Les  loriots  gourmands  sifflent  à  plein  gosier; 

Leur  cri  mélodieux  clôt  le  chœur  printanier. 

La  fleur  f;»it  place  au  fruit,  l'été  place  à  l'automne. 

Salut,  maturité,  saison  puissante  et  bonne  ! 

Saison  où  la  forêt  tient  ce  qu'elle  a  promis 


SYLVINE,  121 


Et  ùit  pleuvoir  du  luiut  de  ses  rameaux  jaunis 
Des  trésors  à  foison  !  —  Les  noisettes  sont  pleines. 
Et  l'on  entend  tomber  les  glands  mûrs  et  les  faines  ; 
Mais  le  taillis  s'effeuille,  et  parmi  les  buissons 
Le  rouge-gorge  errant  dit  ses  courtes  chansons. 
Voici  l'hiver  venu.  La  neige  sur  les  branches 
En  silence  répand  ses  touffes  de  fleurs  blanches; 
D'un  sommeil  éternel  les  bois  semblent  dormir. 
Et  les  germes  féconds  des  printemps  à  venir 
Fermentent  sourdement  sous  l'épais  nid  de  neige. — 
Lazare  vit  deux  fois  le  rapide  cortège 
Des  changeantes  saisons  défiler  dans  les  bois. 
11  poursuivait  sa  tâche,  et  leâ  jours  et  les  mois 
S'enfuyaient...  Au  courant  de  cette  vie  active, 
Comme  une  terre  aride  au  contact  d'une  eau  vive, 
L'héritier  des  Paulmy  se  métamorphosait. 
Ce  n'était  plus  l'enfant  timide  qui  n'osait 
Sortir  de  sa  misère  et  de  sa  somnolence. 
Le  cœur  qu'un  préjugé  de  caste  et  de  naissance 
Retenait  indécis  :  —  c'était  un  esprit  fier. 
Énergique  et  vaillant;  sa  volonté  de  fer 
Ceignait  son   cœur  ainsi   qu'une  cotte  de  mailles, 
Et  comme  ses  aïeux  au  milieu  des  batailles, 
Pour  devise  il  avait  ce  noble   mot  :  «  Vouloir!  » 
Il  n'avait  pas  revu  Sylvine  ;  mais  le  soir 
Ses  rêves  amoureux  s'envolaient  vers  la  ville, 
Et  l'absence  doublait  sa  tendresse  virile. 
Comme  la  nuit  accroît  le  parfum  d'une  fleur. 
Parfois  dans  la  forêt  venait  Jean  le  flûteur. 


124  LE    CHEMIN     DES    BOIS. 

Et  tous  les  bûcherons  le  fêtaient  au  passage, 
Car  sa  flûte  semblait  leur  donner  du  courage; 
Mais  Jean,  triste  et  muet,  se  tenant  à  l'écart, 
Sur  Lazare  sans  cesse  attachait  son  regard. 
Et  lorsque  ce  dernier  l'interrogeait,  sa  bouche 
Restait  close;  en  silence  il  s'éloignait,  farouche. 

Les  jours,  les  mois  fuyaient...  Lazare  d'un  chantier 
Était  devenu  maitre,  et  denier  par  denier 
Son  trésor  amassé  s'arrondissait  dans  l'ombre. 
Or  un  doux  soir  de  mai,  dans  la  clairière  sombre 
Les  bûcherons  en  cercle  achevaient  leur  repas. 
Lorsque  dans  le  taillis  un  léger  bruit  de  pas 
Résonna  tout  à  coup.  Les  feuillages  frémirent... 
«  Qui  va  là?  »  demanda  Lazare.  Ils  entendirent 
Une  tremblante  voix  répondre  :  «  Jean  Caillou  !  » 
Et  Jean  vers  le  jeune  homme  accourut  comme  un  fou. 
«  Là-bas,  dans  le  faubourg,  dit-il,  on  vous  appelle... 

—  Sylvinc?  s'écria  Lazare.  —  Oui,  c'est  elle; 
Ne  perdons  pas  de  temps,  reprit  Jean,  hâtons-nous  ! 
Venez  vite  et  prenez  votre  bourse  avec  vous. 

—  Partons  !  »  Et  dans  la  nuit,  à  travers  les  cépées, 
Les  taillis  frissonnants,  les  gorges  escarpées, 

Les  longs  chemins  couverts,  les  douteux  carrefours. 
Ils  gagnèrent  la  plaine  et  les  sombres  f;uibourgs. 


SYLVINE.  125 


VII 

LES  faubourgs  par  la  Faim  aux  mamelles  arides 
Sont  hantés.  Les  métiers  restent  muets  et  vides, 
Et  la  fabrique  oisive  a  clos  ses  ateliers. 
Le  coton,  qui  faisait  manoeuvrer  les  leviers 
Et  courir  la  navette  et  gémir  l'engrenage, 
Qui  nourrissait  la  ville  et  le  prochain  village 
Comme  l'huile  nourrit  la  lampe,  le  coton 
Manque  à  la  filature,  et  dans- chaque  maison. 
Sur  chaque  seuil,  on  voit  la  misère  installée. 
Dans  ces  corps  de  logis  à  mine  désolée. 
Pénétrez  en  suivant  l'allée  aux  murs  verdis  ; 
Entrez,  si  vous  l'osez,  dans  ces  mornes  taudis  ; 
Partout  même  détresse  et  partout  même  scène  : 
Une  chambre  sans  air,  trop  étroite  et  malsaine, 
Des  enfants  demi-nus  luttant  contre  la  mort. 
Et  la  mère  auprès  d'eux  accroupie  et  qui  tord 
Ses  bras  maigres,  la  mère  ulcérée  et  farouche, 
La  haine  dans  le  cœur,  le  blasphème  à  la  bouche; 
Le  père  enfin  rentrant  au  soir,  la  tête  en  feu. 
Sans  courage  et  sans  pain,   sans  espoir  et  sans  Dieu. 

Mais  dans  ces  jours  mauvais  et  parmi  ces  victimes. 
S'il  est  des  cœurs  troublés,  il  en  est  de  sublimes, 
Le  vieux  Roch  entre  tous!...  Épiez-le  ce  soir. 
Près  de  sa  femme  en  pleurs  vous  le  verrez  s'asseoir. 


126  LU    CHEMIN*    DES    BOIS. 

Sombre  et  décourage,  mais  fier  et  digne  encore. 

Le  jour  tombe. — Ils  sont  seuls.  —  Jean  Caillou  dès  l'aurore 

D'un  air  mystérieux  a  quitté  la  maison  ; 

Sylvine  est  à  la  ville  et  cherche  du  coton 

De  fabrique  en  f;ihrique.  —  Ils  sont  seuls.  —  Leurs  visage 

Où  les  privations  ont  laissé  leurs  sillages, 

S'empourprent  aux  rayons  d'un  clair  soleil  couchant, 

Et  Roch,  à  la  lueur  de  l'astre  déclinant. 

Contemple  tristement  sa  compagne  de  peine. 

Voilà  trente  ans  qu'ensemble  ils  supportent  la  chaîne 

Des  misères  sans  fin  et  des  labeurs  ingrats, 

Et  tandis  que  les  ans  aiTaiblissent  leurs  bras, 

Cette  chaîne,  toujours  plus  dure  et  plus  pesante. 

Charge  plus  rudement  leur  vieillesse  croissante... 

Pour  la  première  fois,  Roch  tremble  et  sent  la  peur 

Tomber  comme  une  nuit  lugubre  sur  son  cœur. 

Sylvine  cependant  rentre  pensive  et  triste. 

Dans  chacun  de  ses  yeux,  aux  reflets  d'améthyste, 

Une  larme  limpide  étincelle,  et  ces  mots 

Jaillissent  de  sa  bouche  au  milieu  des  sanglots  : 

«  Point  d'ouvrage  !  Partout  des  refus  !  nul  remède  ! 

Et  Dieu  seul  maintenant  peut  nous  venir  en  aide.  » 

Le  vieux  Roch  atterré  jette  un  navrant  regard 

Sur  son  métier  qui  dort  inutile  h  l'écart  ; 

Amère  est  sa  douleur,  elle  éclate,  il  s'écrie  : 

«  Bienheureux  sont  les  morts  !  leur  souffrance  est  finie. 

La  nuit  du  cimetière  est  plus  douce  à.  leurs  corps 

Que  le  jour  des  vivants.  Bienheureux  sont  les  morts  !  » 

Et  la  mère  au  milieu  de  ses  larmes  murnuire  : 


SYLVINE.  127 


«  Pourtant  si  l'on  osait!...  Au  monde,  j'en  suis  sûre, 

Il  est  des  cœurs  humains  que  nos  maux  toucheraient  ;    . 

Si  nous  parlions,  il  est  des  mains  qui  s'ouvriraient...  « 

L'austère  tisserand  tressaille  et  se  relève  : 

«  Mendier?  Ah  1  dit-il,  ce  dernier  coup  m'achève. 

Mendier!  Pourquoi  pas  voler?  Mieux  vaut  mourir  ! 

Puisque  notre  métier  ne  peut  plus  nous  nourrir, 

Nous  n'avons  rien  à  faire  ici-bas...  L'araignée, 

Quand  son  fil  est  à  bout,  tombe  et  meurt  résignée. 

Mourons  !  »  Mais  en  voyant  leurs  larmes  redoubler  : 

«Ahl  mes  pauvres  enfants,  je  vous  ai  f;iit  pleurer. 

Je  suis  impitoyable  et  mon  orgueil  m'égare  I  » 

Soudain  la  porte  s'ouvre,  et  voici  que  Lazare, 

Avec  Jean  le  flùteur,  s'avance  lentement. 

Roch  s'arrête,  il  hésite,    et,  plein  d'étonnement  : 

«  Que  voulez-vous?»  dit-il  d'une  voix  accablée. 

Et  le  jeune  homme  alors  lui  tend  sa  main  hâlée  : 

«  Voyez,  ô  Roch,  ma  main  n'est  plus  blanche  à  présent  ; 

Le  travail  dans  les  bois,  la  froidure  et  le  vent 

L'ont  brunie.  Aujourd'hui  qu'elle  est  rude  et  calleuse, 

La  refuserez-vous  encore,  âme  orgueilleuse  ?  » 

Un  silence  profond  se  fait  après  ces  mots. 

Tout  à  coup  maitre  Roch,  éclatant  en  sanglots, 

Attire  dans  ses  bras  et  Lazare  et  Sylvine, 

Et,  les  tenant  tous  deux  pressés  sur  sa  poitrine. 

Les  couvre  de  baisers... 

Dans  l'ombre,  le  flûtcur. 
Le  front  dans  ses  deux  n'.ains,  contemple  leur  bonheur. 


128  LE    CHEMIN    DUS    BOIS. 


VIII 


UN  mois  a  fui.  Les  cœurs  ont  repris  du  courage, 
Lazare  dans  les  bois  a  fini  son  ouvrage, 
Et  pour  les  tisserands  de  meilleurs  jours  sont  nés. 
—  De  son  pauvre  logis  aux  murs  abandonnés, 
Le  dernier  des  Paulm)',  ce  soir,  avec  Sylvine 
Est  sorti.  Le  jour  baisse.  Une  cloche  argentine 
Soupire  lentement...  Et  c'est  demain  matin 
Le  jour  tant  désiré  !  Les  bûcherons,  demain, 
Vers  la  modeste  église  à  la  flèche  élancée, 
Escorteront  le  maitre  avec  sa  fiancée... 
Le  crépuscule  tombe,  et  les  deux  jeunes  gens, 
Loin  du  bruyant  faubourg,  s'en  vont  à  travers  champs. 
Ils  longent  les  blés  verts  et  les  vergers  plus  sombres. 
Au  milieu  des  épis,  tantôt  comme  deux  ombres 
Ils  passent,  et  tantôt  emmi  les  néfliers 
Us  s'enfoncent  tous  deux.  Parfois,  dans  les  sentiers 
Rapides  et  glissants,  Sylvine,  moins  timide. 
S'appuie  en  tressaillant  sur   le  bras  de  son  guide. 
La  lune  en  ce  moment  se  lève,  et  ses  clartés 
Couvrent  les  chemins  creux  de  réseaux  argentés. 
Et  Lazare  s'assied  auprès  de  son  amie 
Sur  un  banc,  d'où  l'on  voit  la  vallée  endormie 
Et  la  ville  aux  lueurs  éparses,  tout  au  fond. 
Les  discours  commencés  qu'un  soupir  interrompt. 


SYLVINE. 


129 


Et  les  tendres  aveux  alternent  sur  leurs  lèvres  : 
Lazare  dit  ses  nuits  d'insomnie  et  de  fièvres. 
Ses  courses  dans  les  bois,  et  Sylvine,  à  son  tour, 
Comment  son  cœur  si  fier  s'est  ouvert  à  l'amour. 
Aux  regards  éblouis  du  jeune  homme  elle  étale 
Chaque  feuille  suave  et  chaque  blanc  pétale 
De  la  pudique  fleur  de  son  âme...  Et  parfois, 
Confuse,  elle  s'arrête  et  demeure  sans  voix. 
—  Ainsi,  pendant  les  nuits  de  mai  tièdes  et  pures. 
Lorsque  le  rossignol  chante  dans  les  ramures, 
Si  quelque  jeune  pâtre,  en  suivant  son  chemin 
S'approche  du  buisson,  l'oiseau  se  tait  soudain; 
Puis,  les  pass'éloignant,  la  chanson  recommence. — 
Mais  dans  leurs  entretiens,  comme  dans  leur  silence. 
On  sent  vibrer  l'amour,  car  l'amour  renaissant 
Anime  tout  ce  soir  de  son  souffle  puissant. 
11  est  dans  l'air,  il  est  dans  le  sol,  il  imprègne 
Les  masses  de  verdure  et  les  grands  blés  que  baigne 
La  lune  de  ses  flots  calmes  et  lumineux. 
On  dirait  que  le  ciel,  de  la  terre  amoureux, 
Près  de  sa  fiancée  au  voile  diaphane 
Va  descendre  joyeux,  comme  autrefois  Diane 
Vers  son  Endymion  se  glissait  à  la  nuit. 
C'est  l'heure  de  l'amour.  Tout  tressaille  et  tout  luit, 
Et  la  terre,  déjà  prête  pour  l'hyménée, 
Attend  silencieuse,  émue,  illuminée... 
L'herbe  des  prés  mûris  ondule,  et  son  odeur 
Au  parfum  des  tilleuls  et  des  vignes  en  fleur 
S'unit.,.  Mais  dans  la  nuit  azurée  et  sereine. 


lîO 


LE    CHEMIN     DUS     BOIS. 


Du  sein  des  pampres  verts  une  plainte  soudaine 
S'exhale,  —  un  long  sanglot  déchirant.  —  Et  c'est  toi. 
Malheureux  Jean  Caillou  !  —  Pauvre  Auteur,  pourquoi 
En  secret  cette  nuit  as-tu  suivi  Sj-lvine? 
Maintenant  les  sanglots  déchirent  ta  poitrine, 
Et  l'àpre  jalousie,  ainsi  qu'un  fier  vautour, 
Te  dévore,  ô  martyr  de  l'impossible  amour  ! 


LE  BLEU  ET  LE  NOIR 


^U  LECTEUTl 


Mo  N  livre  est  comme  un  ciel  peu  sûr 
Où  les  brumes  au  vent  bercées 
Laissent,  par  d'étroites  percées. 
Entrevoir  de  doux  coins  d'a:^nr. 

Désirs,  regrets  de  l'âge  mûr. 
Rêves  Meus  et  noires  pensées 
Croisent  leurs  ailes  nuancées 
Dans  ce  mobile  clair-obscur. 

Parfois,  comme  une  brève  aurore, 
Vu  souvenir  d'amour  colore 
Le  ciel  nuageux  et  profond  ; 

Un  monte  lit,  —  ô  féerie  !  6  charmes  !  — 
Tout  s'éclaire...  Puis  tout  se  fond 
En  un  brusque  orage  de  larmes. 


tr 


INTÉRIEURS   ET  PAYSAGES 


La    Grand'tante. 


A  André  Lemoyne. 


DANS  le  calme  logis  qu'habite  la  grand'tante 
Tout  rappelle  les  jours  défunts  de  l'ancien  temps 
La  cour  au  puits  sonore  et  la  vieille  servante, 
Et  les  miroirs  ternis  qui  datent  de  cent  ans. 

Le  salon  a  gardé  ses  tentures  de  Flandre, 
Où  nymphes  et  bergers  dansent  au  fond  des  bois  ; 
Aux  heures  du  soleil  couchant,  on  croit  surprendre 
Dans  leurs  yeux  un  éclair  de  l'amour  d'autrefois. 


Du  coin  sombre  où  sommeille  une  antique  épinette, 
Parfois  un  long  soupir  monte  et  fuit  au  hasard, 
Comme  un  écho  des  jours  où,  pimpante  et  jeunette, 
La  grand'tante  y  jouait  Rameau,  Gluck  et  Mozart. 

;8 


158  LE     BLEU     ET     LE     X  01 R. 

Un  meuble  en  bois  de  rose  est  au  fond  de  h  chambre. 
Ses  tiroirs  odorants  cachent  plus  d'un  trésor  : 
Bonbonnières,  flacons,  sachets  d'iris  et  d'ambre 
D'où  le  souffle  d'un  siècle  éteint  s'exhale  cncor. 

Un  livre  est  seul  parmi  ces  reliques  fanées. 
Et  sous  le  papier  mince  et  noirci  d'un  feuillet. 
Une  fleur  sèche  y  dort  depuis  soixante  années  : 
Le  livre,  c'est  Zaïre,  et  la  fleur,  un  œillet. 

L'été,  près  de  la  vitre,  avec  le  vieux  volume, 
La  grand'tante  se  fait  rouler  dans  son  fliuteuil... 
Est-ce  le  clair  soleil  ou  l'air  chaud  qui  rallume 
La  couleur  de  sa  joue  et  Fcclat  de  son  œil  ? 

Elle  penche  son  front  jauni  comme  un  ivoire 
Vers  l'œ-illet,  qu'ellea  peur  de  briser  dans  ses  doigts  : 
Un  souvenir  d'amour  chante  dans  sa  mémoire, 
Tandis  que  les  pinsons  gazouillent  sur  les  toits. 

Elle  songe  au  matin  où  la  fleur  fut  posée 
Dans  le  vieux  livre  noir  par  la  main  d'un  ami. 
Et  ses  pleurs  vont  mouiller  ainsi  qu'une  rosée 
La  page  où  soixante  ans  l'œ'illct  rouge  a  dormi. 


UNE    NUIT    Dli    TR  IN  TEMPS.  I39 


Une    Nuit    de    p r i n t e m p ; 


PARIS  s'endort.  —  Les  nuées 
Par  un  vent  frais  remuées 
S'éparpillent  dans  les  airs  ; 
Sous  leur  brume  pâle  et  fine 
La  lune  en  manteau  d'hermine 
Plane  sur  les  quais  déserts. 

Là-bas,  comme  une  âme  en  peine, 
Une  créature  humaine. 
Bras  nus,  les  cheveux  au  vent. 
Passe  morne  et  désolée... 
Là-bas,  dans  la  contre-allée, 
Près  d'un  grand  mur  de  couvent. 


140  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Un  jet  de  gaz  l'illumine  : 
Sa  tête  est  presque  enfantine, 
Mais  à  la  molle  rondeur 
Des  seins  gonflés  sous  la  bure, 
On  devine  qu'elle  est  mûre 
Pour  l'amour  —  et  la  douleur. 


Les  mains  sur  son  sein  pressées. 
Les  paupières  abaissées 
Sur  des  pleurs  lents  à  jaillir, 
Debout,  au  bord  de  la  route. 
En  elle-même  elle  écoute 
Quelque  chose  tressaillir. 

O  mystère  !  quelque  chose 

Qui  palpite,  vie  éclose 

Dans  l'être  déjà  vivant... 

Ses  mains  ont  dans  ses  entrailles, 

Comme  le  grain  des  semailles. 

Senti  germer  un  enfant... 

Paris  dort,  —  et  dans  les  arbres. 
Dans  la  mousse  des  vieux  marbres 
Et  les  jasmins  des  balcons. 
On  entend  frémir  la  sève; 
Mai,  sur  la  ville  qui  rcve, 
Képand  ses  charmes  féconds, 


UNE    XUIT    DE    PRINTEMPS.  I4I 

Dans  la  nuit  tiède  et  clémente 
Où  tout  fleuronne  et  fermente, 
Un  cri  d'angoisse  est  monté. 
Là-bas,  sous  la  sombre  allée, 
Une  pauvre  désolée 
Te  maudit,  fécondité  ! 


O  moment  béni  des  mères. 
Minutes  douces  et  claires 
Où  l'incertitude  a  fui  ; 
Heure  où  la  jeune  épousée, 
La  main  sur  son  flanc  posée'. 
Tressaille  et  se  dit  :  «  C'est  lui  ! 


Heure  limpide  et  sereine. 

Ta  voix  dans  cette  âme  en  peine 

N'éveille  que  le  remord. 

Cheveux  au  vent,  tète  nue. 

Elle  accueille  ta  venue 

Avec  un  salut  de  mort... 


142  LF.    BLKU    ET    LE    XOIK. 


II 


LE  rossignol  chante.  —  O  tristesse, 
Amertume  du  souvenir, 
Quand  l'amour  daus  la  brume  épaisse 
Plonge  pour  ne  plus  revenir  !.. 

Elle  écoute  et  son  cœur  palpite... 
Les  sons  dans  les  arbres  du  quai 
Montent  ;  le  passé  ressuscite, 
Par  ce  chant  nocturne  évoqué. 

Elle  voit  les  vergers  pleins  d'herbe 
Et  l'ombre  des  pommiers  en  fleur 
Où  l'amouteux,  le  front  superbe. 
L'entraînait  d'un  geste  vainqueur. 

Étreintes,  lèvres  confondues. 
Baisers  longuement  savourés. 
Soupirs  mêlés  aux  voix  aiguës 
Des  grillons  aux  berges  des  prés  ; 

Tout  lui  revient  à  la  mémoire, 
Tout,  jusqu'à  la  chanson  d'amour 
Q.ue  l'amant,  fier  de  sa  victoire, 
Fredonnait  vraiment  au  retour. 


UNE    NUIT    DE    PRINTEMPS.  I43 

Hélas  !  au  long  du  quai  sonore, 
Tandis  qu'elle  erre  à  l'abandon, 
A  qui  la  redit-il  encore, 
La  folle  et  trompeuse  chanson  ? 

Mène-t-il  une  autre  amoureuse 
Sous  les  ramures  des  halliers, 
Tandis  qu'elle  descend,  peureuse. 
Les  degrés  des  noirs  escaliers?... 

Elle  arrive  .à  la  pente  obscure 
Où  brusquement  le  mur  finit... 
Voici  la  Seine  qui  murmure 
Entre  ses  talus  de  granit. 

Les  feux  rougeâtres  des  lanternes. 
Par  un  souffle  tiède  agités. 
Sur  les  eaux  profondes  et  ternes 
Croisent  leurs  tremblantes  clartés  ; 

Dans  la  rivière  illuminée 
On  dirait  les  reflets  joyeux 
D'une  fête  étrange  donnée 
Par  des  hôtes  mystérieux... 

Le  rossignol  chante,  —  et  plaintive. 
L'onde  roule  et  frémit  tout  bas... 
La  pauvre  fille  sent  l'eau  vive 
Baigner  tendrement  ses  pieds  las. 


144  LE    BLEU    ET    LE    NOIR.      ' 

L'oiseau  dit  les  amours  menteuses 
Et  le  bonheur  enseveli  ; 
Les  flots  avec  leurs  voix  berceuses 
Parlent  de  sommeil  et  d'oubli. 

Oh  !  l'oubli,  la  fu\  de  l'épreuve, 
Et,  sur  un  lit  de  frais  cailloux. 
Dans  les  molles  herbes  du  fleuve, 
Un  sommeil  éternel  et  doux  ! 

Au  bruit  d'une  chute  soudaine 
Un  sourd  jaillissement  répond. 
Et  l'onde,  qui  bouillonne,  entraîne 
Un  corps  sous  les  arches  du  pont. 


•NEIGES     D    ANTAN.  I45 


Neiges    d'antnn. 


A  Jules  Lcvallois. 


LA  maison  dort  non  loin  du  quai  bordé  de  mâts. 
Son  étroite  façade  aux  fenêtres  gothiques 
Découpe  sur  un  ciel  tout  chargé  de  frimas 
Les  gradins  dentelés  de  son  pignon  de  briques. 

Le  logis  est  bien  clos.  Dans  l'ombre  du  parloir, 
Deux  vieillards,  deux  époux,  sont  assis  devant  l'âtre. 
Et,  perdus  à  demi  dans  un  doux  nonchaloir. 
Ils  rêvent  aux  lueurs  de  la  braise  bleuâtre. 

Autour  d'eux  est  rangé  l'antique  mobilier  : 
Rideaux  fanés,  miroirs  ternis,  dressoirs  de  chêne. 
Dans  cet  encadrement  sévère  et  familier. 
Leur  vieillesse  apparaît  lumineuse  et  sereine. 

19 


146  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Le  vent  souffle,  la  neige  au  murmure  léger 
Palpite  comme  une  aile  à  la  vitre  sonore... 
Les  époux,  en  voyant  les  flocons  voltiger, 
Sentent  dans  leur  mémoire  un  souvenir  éclore; 

Un  souvenir  d'amour  et  de  jeunesse  en  fleur... 
«  Femme,  dit  le  vieillard  avec  un  clair  sourire, 
Ainsi  neigeait  le  ciel  quand  je  t'ouvris  mon  cœur...  » 
Et  l'épouse,  levant  son  front  ridé,  soupire  : 

«  Je  m'en  souviens  toujours...  Je  revois  le  chemin, 
Je  crois  entendre  encor  siffler  parmi  les  branches 
La  bise  de  janvier  qui  bleuissait  ta  main 
Et  sur  tes  cheveux  noirs  semait  des  taches  blanches. 

—  Moi,  je  te  vois  encor  glisser  sur  le  verglas. 
Rude  était  le  sentier  du  bourg  jusqu'à  la  ferme. 
Déjà  tu  semblais  lasse,  et  je  t'off'ris  mon  bras  ; 

Mais  mon  cœur  tremblait  fort,  si  mon  bras  était  ferme  ! 

«  Serrés  l'un  contre  l'autre,  émus,  silencieux. 
Nous  marchions  ;  j'admirais  au  travers  de  la  neige 
La  rougeur  de  ta  joue  et  l'-izur  de  tes  yeux. 
Et  je  songeais  tout  bas  :  Par  où  commencerai-jeî... 

—  Moi,  je  pensais  :  Voyons  s'il  me  devinera... 
Et  je  baissais  mon  front  pour  t'cmpéchcr  d'y  lire. 
Pourtant,  lorsqu'à  nos  yeux  la  ferme  se  montra, 
N'ous  nous  étions  compris  sans  presque  rien  nous  dire.  » 


NEIGES    D    ANTAN.  I47 

Et  le  vieillard  sourit  de  nouveau  :  «  Nos  amours 
Ont  vécu  cinquante  ans  ;  les  printemps  dans  leur  gloire 
Et  les  étés  féconds  sont  passés,  et  toujours 
Ce  souvenir  d'hiver  chante  dans  ma  mémoire. 

—  O  cher  homme,  sur  nous  la  vieillesse  a  neigé, 
L'âge  nous  a  blanchis,  comme  autrefois  le  givre; 
Mais  la  robuste  fleur  de  l'amour  partagé 
Embaume  les  instants  qui  nous  restent  à  vivre. 

Nous  marcherons  tous  deux  jusqu'au  bout  du  chemin, 
Et  quand  nous  atteindrons  la  cime  solennelle, 
Puissions-nous,  côte  à  côte  et  la  main  dans  la  main, 
Descendre  ensemble  encor  dans  la  paix  éternelle  ! ...» 

L'aube  heureuse  des  jours  anciens  semble  flotter 
Sur  les  deux  vieux  époux  replongés  dans  leur  rêve. 
Perçant  la  nue  épaisse  et  comme  pour  fêter 
Leurs  noces  d'or,  tin  pâle  et  doux  soleil  se  lève. 

Un  pâle  et  doux  soleil  argenté  leurs  cheveux, 
Et  le  vent  qui  s'engouffre  au  fond  des  cheminées, 
Le  rude  vent  d'hiver,  s'attendrissant  pour  eux. 
Murmure  les  chansons  de  leurs  jeunes  années. 


148  LE    BLEU     ET    LE     XOIU. 


Veillée   d'automne. 


UK  E  lampe  de  nuit,  tremblante,  éclaire  à  peine 
La  chambre  des  époux  et  le  grand  lit  de  chêne 
Où,  seul,  le  vieux  mari  dort  d'un  sommeil  pesant. 
La  jeune  femme  veille,  et  la  lune,  en  glissant, 
Pâle,  sous  les  brouillards  légers  d'un  ciel  d'octobre, 
Indique  vaguement  la  forme  svelte  et  sobre 
De  son  corps  délicat  penché  sur  le  balcon. 
Pensive  et  les  regards  tournés  vers  l'horizon. 
Elle  veille;  un  frisson  d'amertume  et  de  fièvre 
De  son  sein  palpitant  monte  jusqu'à  sa  lèvre. 
Et  sous  leurs  cils  épais  ses  beaux  yeux  bleus  mouillés 
Scintillent.  —  Au  dehors,  dans  les  tilleuls  rouilles 
De  l'allée  où  sanglote  un  jet  d'eau  monotone, 
Dans  le  parc  imprégné  des  senteurs  de  l'automne. 
Le  vent  pluvieux  dit  les  funèbres  cliansons 
Des  printemps  disparus  et  des  mornes  saisons; 
Mais  plus  funèbre  encore  est  le  chant  de  détresse 
Qu'en  son  cœur  tourmenté  l'épouse  entend  sans  cesse 


VEILLEE    D    AUTOMXI-.  I49 

«  L'homme  et  ses  lois,  le  prêtre  et  son  rite  banal 
En  vain  à  ce  vieillard  ont  enchaîné  ta  vie, 
La  nature  n'a  point  béni  le  joug  brutal 
Qui  pèse  lourdement  sur  ton  âme  asservie. 

«  Pauvre  femme  !  les  fleurs  des  chemins  ont  pleuré 
duand  l'époux  t'emportait,  joyeux,  dans  son  carrosse, 
£t  les  étoiles  d'or  au  fond  du  ciel  navré 
Ont  pâli  de  douleur  pendant  ta  nuit  de  noce. 

«  Les  joj-aux  ruisselants  et  les  bals  aux  doux  bruits 
Ont  un  instant  leurré  ta  jeunesse  distraite; 
Mais  tu  sais  maintenant  de  quelles  tristes  nuits 
Et  de  quels  jours  amers  ta  destinée  est  faite. 

«  Les  rapides  printemps  et  les  hivers  sans  fin 
S'amasseront,  pareils  à  la  neige  qui  tombe  ; 
Tu  resteras  liée  à  ce  vieillard  chagrin. 
Tes  fers  ne  s'useront  qu'aux  pierres  d'une  tombe. 

«  Les  ans  fuiront  dans  l'ombre,  ainsi  qu'à  l'horizon 

Se  perd  un  vol  confus  de  cj'gnes  en  vo^'age, 

Et  toujours  tu  seras  murée  en  ta  prison. 

Sans  enfants,  sans  amour,  sans  but  et  sans  courage  I  » 

Toujours!...  Les  sons  cruels  de  ce  terrible  mot 
S'échappent  de  sa  lèvre  avec  un  long  sanglot. 
Et  son  cri  désolé  monte  vers  les  cieux  calmes... 
Les  saules  du  jardin  bercent  comme  des  palmes, 


1^0  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 

Lentement,  mollement,  leurs  rameaux  encor  verts, 
Et  les  (leurs  des  soleils  expirants,  les  asters. 
Les  chrysanthèmes  d'or,  les  passe-roses  frêles 
Se  penchent  comme  pour  se  répéter  entre  elles 
Le  mot  désespéré  qui  passe  dans  la  nuit; 
Et  puis  tout  se  rendort,  et  seul,  le  foible  bruit 
Du  jet  d'eau  retombant  dans  sa  vasque  rustique 
Murmure  au  loin  comme  une  amoureuse  musique. 
La  nature  a  gardé,  même  aux  jours  du  déclin, 
Sa  suprême  harmonie  et  son  rythme  divin; 
Une  pale  vapeur  flotte  sur  l'avenue, 
Et  la  lune,  à  travers  les  blancheurs  de  la  nue, 
Brille  comme  un  signal  tendre  et  mystérieux; 
Un  doux  flambeau  d'amour  semble  éclairer  les  cieux. 

L'amour!...  Ton  sein  tressaille  à  cette  seule  idée. 
Blonde  épouse,  et  ton  âme  en  est  tout  obsédée... 

Elle  écoute,  songeuse,  et  le  vent  d.ins  les  bois 
Semble  l'écho  lointain  des  orageuses  voix 
Qui  gémissent  au  fond  de  son  âme  incertaine... 
Le  vieillard  dort  toujours  dans  le  grand  lit  de  chêne, 
La  lampe  tremble  encor  sous  son  globe  argenté, 
Et  l'épouse  frissonne  et  sent  sa  volonté 
Flotter  comme  la  flamme  au  gré  des  brises  folles. 
Les  pensers  généreux  et  les  chères  idoles 
Qui  faisaient  son  orgueil  ;  —  le  loyal  dévoilment. 
Le  douloureux  devoir  accompli  fièrement, 

* 


VEILLÉE    DAUTOMXE.  I5I 

Les  serments  à  tenir  et  l'honneur'à  défendre. 

Elle  sent  tout  cela  tomber  et  se  répandre, 

Comme  à  l'automne  on  voit  les  brouillards  suspendus 

Se  dissoudre,  et  soudain  sur  les  champs  morfondus 

Verser  en  longs  ruisseaux  leurs  larmes  glaciales... 

Et  le  doute,  pareil  aux  plaintives  rafales 

Qui  tordent  en  passant  les  arbres  des  forêts, 

Le  doute,  de  son  cœur,  arrache  les  regrets, 

Les  résolutions  héroïques  et  fortes, 

Et  les  disperse  au  loin  comme  des  feuilles  mortes. 


1J2  I.E    IJLEU    ET    LE    X  0 1  K. 


En  Bretagne. 


L    ALLEE    DE    PLO.A-RK 


DE  l'cglisc  jusqu'au  calvaire 
Un  chemin  sinueux  conduit, 
Des  arbres  à  .iiiue  sévère 
En  ombragent  le  long  circuit  : 

Chênes  robustes  qu'on  cbranche, 
Noirs  châtaigniers  au  front  chagrin, 
Trembles  gris  dont  la  pâleur  tranche 
Sur  un  ciel  d'un  bleu  tendre  et  fin. 


EX    BRETAGNE.  153 

Les  trembles  ont  subi  l'atteinte 
De  l'âpre  souffle  de  la  mer, 
Et  leur  léger  feuillage  teinte 
De  ses  tons  blancs  le  gazon  vert. 

Sur  les  champs  plus  calmes,  l'automne 
Met  déjà  sa  couronne  d'or. 
Et  son  approche  lente  donne 
Aux  choses  plus  de  charme  encor. 

Les  glands  mûrs  que  siment  les  chênes 
Sur  l'herbe  tombent  mollement, 
Dans  l'air  pur  les  cloches  lointaines 
Répandent  plus  d'apaisement. 

Des  génisses  blanches  et  rousses 
Contre  la  croix  frottent  leur  cou,' 
Un  pâtre  mêle  à  leurs  voix  douces 
Les  sons  grêles  du  biniou. 

Le  jour  meurt  dans  l'oblique  allée, 
Et  la  pénétrante  senteur 
Par  ce  soir  d'automne  exhalée 
Me  met  de  l'amour  plein  le  cœur. 


1^4      I-'-  uleu  et  le  noir. 


II 


LnS  PAYSANS, 


VÊTUS  de  la  veste  et  des  braies, 
Coifïcs  du  grand  feutre  breton, 
Ils  détilent  au  bord  des  haies, 
Les  jours  de  foire  ou  de  pardon. 
Mentons  ras,  longues  chevelures, 
Maigres  et  le  regard  pensif, 
Ils  vont,  —  et  l'on  songe  aux  figures 
Naïves  de  l'art  primitif. 


L'étranger  craint  leurs  airs  sauvages. 
Pour  l'éloigner  de  leurs  chemins, 
Hommes  des  terres,  gens  des  plages. 
Clercs,  laïcs  se  donnent  les  mains. 
Ainsi  leurs  bœufs  parmi  la  lande 
Mettent  en  cercle  leurs  fronts  roux, 
La  nuit,  pour  menacer  la  bande 
Afiaméc  et  fauve  des  loups. 


EN    BRETAGNE.  I  ",  5 

L'étranger,  c'est  le  trouble-joie; 
Dès  qu'il  entre  dans  le  courtil, 
L'enfant  s'enfuit,  le  chien  aboie, 
Tout  le  logis  semble  en  péril... 
Mais  les  hommes  des  Cornouailles, 
Pour  chasser  l'hôte  redouté. 
Dressent  contre  lui  deux  murailles  : 
—  Leur  langage  et  leur  pauvreté. 


Sur  les  routes,  quand  ma  pensée 
A  leurs  rêves  veut  se  mêler. 
Elle  s'en  revient  repoussée 
Sans  pitié  par  leur  dur  parler. 
Leur  âme  est  comme  un  sanctuaire 
Au  pied  des  grands  dolmens  couche  ; 
Le  flambeau  muet  qui  l'éclairé 
A  tout  œil  profane  est  caché. 


Rude  est  l'accueil,  âpre  est  la  bouche. 
Mais  les  cœurs  ne  sont  pas  méchants. 
Ce  peuple,  avec  son  air  farouche. 
Est  pareil  aux  ajoncs  des  champs  : 
Si  la  tige  est  pleine  d'épines, 
La  grâce  imprègne  les  fleurs  d'or; 
Sous  vos  haillons  et  vos  ruines, 
Bretons,  l'idéal  chante  encor. 


156  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Aussi  je  t'aime,  race  forte  ! 
Et  je  me  dis  en  t'admirant  : 
«  La  Gaule  entière  n'est  pas  morte 
Sous  l'éperon  vainqueur  du  Franc; 
Dans  ces  jeunes  gars  aux  corps  sveltes, 
Dans  ces  vieillards  aux  longs  cheveux, 
Bouillonne  encor  le  sang  des  Celtes...  » 
—  Et  mon  cœur  s'OLmce  vers  eux. 


KN     nRICTAGXE.  I57 


III 


LA    LAXDE     SAINT -JEAN'. 


A  Emmanuel  Lansyer. 


LE  site  est  simple  et  grand  :  au  fond,  s'enfuit  l;i  lande, 
Silencieuse  et  verte;  au  bas,  gronde  la  mer; 
Entre  elles  deux  se  dresse  une  âpre  et  longue  bande 
De  rocs  gris  ;  tout  en  haut,  rit  l'azur  d'un  ciel  clair. 

La  lande  a  les  fleurs  d'or  de  l'ajonc  pour  parure, 
Et  pour  hôtes  les  blocs  épars  des  vieux  men-hirs 
Q.ui  conservent  dans  l'herbe  une  fière  posture, 
Mystérieux  gardiens  des  lointains  souvenirs. 

La  mer  au  large  étend  ses  eaux  calmes  et  bleues 
Où  glissent,  voile  au  vent,  les  barques  des  pêcheurs  ; 
Elles  passent  et  l'œil  les  suit  pendant  des  lieues, 
Jusqu'à  l'horizon  blanc  tout  noyé  de  vapeurs. 


158  LE     BLEU     ET    LE   ^'OIR. 

Dans  l'air  plane  en  criant  une  pâle  mouette; 
Sur  terre,  seul,  un  p.itre  apparaît  au  penchant 
D'une  crcte,  et  l'on  voit  grandir  sa  silhouette, 
Noire,  sur  la  rougeur  intense  du  couchant. 

La  lande  solitaire  et  la  mer  infinie, 
Les  rocs  gris  et  le  ciel  plein  de  sérénité, 
S'accordent  pour  former  l'austère  symphonie 
De  la  grandeur  unie  à  la  simplicité. 


EN     BKCTAGXE.  1  ;,9 


IV 


DOUARNENEZ. 

A  Bcrtha  Sanâor, 

LE  s  blancs  logis  qui  font  la  haie 
Mirent  leurs  faijades  le  soir 
Dans  les  eaux  vertes  de  la  baie  ; 
Là,  les  enfants  viennent  s'asseoir. 

Pieds  nus,  montrant  leur  peau  hâlée 
Sous  leurs  haillons  effiloqués, 
Ils  tiennent  leur  haute  assemblée 
Sur  les  noirs  escaliers  des  quais. 

On  les  voit  en  troupe  serrée 
S'épandre,  grouillants,  mal  vêtus, 
Et  l'on  se  dit  que  la  marée 
A  de  singulières  vertus... 

Ils  pullulent.  Leur  vie  est  douce  : 
Pas  d'autre  école  que  la  mer; 
Ici,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  mousse, 
L'enfant  n'a  pas  un  jour  amer. 


l6o  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 

Les  aines,  aux  têtes  coiffées 
Du  béret,  le  coude  au  genou, 
Tirent  gravement  des  bouffées 
Du  fond  de  leurs  pipes  d'uu  sou. 

Les  petits,  —  blonds,  mines  charmantes,  — 
Ouvrent  tout  grands  leurs  beaux  yeux  bleus 
Et  lorgnent  les  pipes  fumantes 
Avec  des  regards  amoureux. 

Parfois  la  houleuse  marmaille 
Part  d'un  fou  rire  aux  longs  éclats. 
Et  de  cris  joyeux  la  muraille 
Retentit  du  haut  jusqu'en  bas... 

Cependant  maint  bateau  de  pêche 
Lentement  vers  le  port  descend. 
Et  les  avirons  sur  l'eau  fraiche 
Font  un  sillon  phosphorescent. 

L'ombre  croit,  la  brise  marine 
Apporte  des  exhalaisons 
De  goémon  et  de  sardine; 
L'odeur  forte  emplit  les  maisons. 

Et  quand  tout  dort,  plage  et  campagne, 
On  entend  encor  dans  la  nuit 
Les  rires  d'enfants  qu'accompagne 
La  mer,  de  son  éternel  bruit. 


EN  BRETAGNE.  l6l 


V 


LE  PARDON  DE  KER-LAZ. 

A  Jules  Breton. 

A  travers  les  ormeaux,  un  ciel  de  couleur  grise 
Éclairait  finement  la  pelouse  et  l'église 
Où  l'office  avec  calme  et  ferveur  s'achevait. 
Les  femmes  au  portail,  les  hommes  au  chevet, 
Sur  l'herbe  agenouillés,  égrenaient  leurs  rosaires, 
Tandis  que  dans  la  nef  les  chantres  aux  voix  claires' 
Psalmodiaient  en  chœur.  Le  parvis  était  plein. 
Les  gens  de  Plô-Nevez  et  ceux  de  Chateaulin 
Étaient  venus,  parés  de  l'habit  des  dimanches. 
Les  femmes  avaient  mis  leurs  neuves  coiffes  blanches 
Et  les  enfants  dormaient,  aux  jupes  accrochés. 
Les  mendiants  aussi,  sur  leur  bâton  penchés, 
Arrivaient  à  la  file  et  d'un  ton  lamentable 
Présentaient  aux  passants  leur  sébile  d'érable; 
Et  sous  l'épais  abri  des  vieux  chênes  rêveurs 
Le  cidre  et  le  vin  frais  attendaient  les  buveurs. 
Soudain  dans  le  clocher  tout  revêtu  de  moi'c 
La  cloche  lentement  éleva  sa  voix  douce. 
Et  chacun  fut  debout.  Les  bannières  flottaient 
En  avant;  chapeau  bas,  les  hommes  les  suivaient; 


l62  LEBLEUETLENOIR. 

Puis  venaient  deux  tambours,  vieilles  têtes  ridées. 

Leurs  longs  cheveux  tombant  sur  leurs  vestes  brodées, 

Ils  allaient,  le  front  haut  et  le  pas  mesuré, 

Et  tous  deux  ils  battaient  avec  l'air  inspiré 

Une  marche  à  la  fois  héroïque  et  pieuse. 

Derrière  s'avanijait,  dans  sa  robe  soyeuse, 

La  Vierge  au  lis  doré,  que  portaient  en  tremblant 

Deux  filles  aux  yeux  purs,  au  front  voilé  de  blanc... 

Ainsi  coupant  le  ciel  de  sa  ligne  sévère, 

L'humble  procession  montait  vers  le  calvaire. 

Et  la  cloche  tintait  au  loin,  et  les  tambours 

Aux  cantiques  mêlaient  leurs  roulements  plus  sourds., 

C'était  religieux,  agreste,  simple  et  grand. 

Beau  de  cette  beauté  naïve  qui  vous  prend. 

Vous  serre  et  d'un  coup  d'aile  à  l'Idéal  vous  porte. 

Comme  un  doux  revenant,  je  sentis  la  Foi  morte 

Se  lever  dans  mon  cœur,  et  vers  mes  yeux  soudain 

Portant  les  doigts,  je  vis  des  larmes  sur  ma  main. 


EX    BRKTAGXF..  165 


VI 


LE    VALLON    DE    TREBOUL. 


A  deux  pas  de  la  mer  qu'on  entend  bourdonner, 
Je  sais  un  coin  perdu  de  la  terre  bretonne 
Où  j'aurais  tant  aimé,  pendant  les  jours  d'automne, 
Chèrej  à  vous  emmener. 

Des  chênes  faisant  cercle  autour  d'une  fontaine, 
Qiielques  hêtres  épars,  un  vieux  moulin  désert, 
Une  source  dont  l'eau  vive  a  le  reflet  vert 
De  vos  yeux  de  sirène  ; 

Du  silence,  un  air  pur  qu'on  boit  à  pleins  poumons. 
Un  horizon  fermé  par  un  champ  de  bruj-ère, 
C'est  tout;  —  la  vie  aurait  tenu  là  tout  entière 
Pour  nous  qui  nous  aimons. 

La  mésange  au  matin,  sous  la  feuille  jaunie, 
Aurait  chanté  pour  nous,  et  la  mer  nuit  et  jour 
Aurait  accompagné  nos  caresses  d'amour 
De  sa  basse  infinie. 


164  LE     BLEU    ET    LE    NOIR. 

Sur  ce  sol  où  toujours  la  lêgciuic  aux  fleurs  d'or 
Pousse  un  nouveau  bouton  qui  jamais  ne  se  fane; 
Au  bord  de  ces  forets  où  prés  de  Viviane 
Merlin  enchante  dort; 

Le  men-hir,  l'alouette  ouvrant  ses  jeunes  ailes, 
Le  pâtre  qui  chemine  en  cliantant  un  vieux  lai 
Du  temps  du  Toi  Gràlon,  tout  nous  aurait  parlé 
Des  choses  éternelles. 

«  Aimez!  »  eût  dit  l'eau  vive  avec  ce  bruit  si  doux 
Qu'elle  fait  en  tombant  au  creux  de  la  fontaine; 
«  Aimez!  que  votre  amour  soit  fort  comme  le  chcnc 
Ht  vert  comme  le  houx  !  » 

Les  étoiles,  témoins  des  soupirs  de  Genièvre, 
Nous  auraient  dit  :  »  Aimez!  »  et  l'écho  de  l'étang 
Qui  compta  les  baisers  d'Iseult  et  de  Tristan  : 
«  Aimez  â  pleine  lèvre!  » 

Là,  nous  aurions  vécu,  le  cœur  tout  près  du  cœur, 
Oublieux,  oubliés,  et  notre  amour,  mignonne, 
Ei'U  grandi  dans  ce  coin  de  la  terre  bretonne, 
La  terre  où  rien  ne  meurt. 


EN    BRETAGNE.  165 


VII 


T  O  A  s  T, 


DE  cidre  écumant  j'ai  rempli  mon  verre, 
Et  je  l'ai  levé 
Bien  haut,  vers  le  ciel,  la  mer  et  la  terre; 
La  liqueur  dorait  la  coupe  légère 
De  cristal  arravé  : 


& 


K  Je  bois  à  la  Bretagne,  à  ses  vertes  presqu'îles 

Dont  l'Océan  houleux 
Baigne  le  dur  granit,  et  les  grèves  tranquilles. 

Et  les  ports  populeux  ; 

«  Au  pays  des  dolmens  et  des  forêts  de  hêtres. 

Où  les  hommes  naïfs 
Ont  gardé  le  langage  et  l'habit  des  ancêtres 

Comme  aux  temps  primitifs; 

«  Aux  filles  dont  l'œil  bleu  luit  sous  la  coiffe  blanche. 

Et  qui  montent  le  soir, 
La  cruche  sur  la  tête  et  la  main  sur  la  hanche. 

Le  sentier  du  lavoir; 


l66  LE    BLEU    ET    LE     NOIU. 

«  Aux  paysans  pensifs  laissant  sur  leur  épaule 

Leurs  cheveux  pendre  cpars, 
Aux  blonds  enfants  qu'on  voit  sur  les  dalles  du  môle 

Bondir  frais  et  gaillards! 

CI  Je  bois  aux  temps  lointains,  aux  grands  âges  celtiques, 

Au  vieil  esprit  qui  dort 
Dans  la  profonde  nuit  des  pierres  druidiques, 

Engourdi,  mais  non  mort  ! 

«  Il  renaîtra!...  Je  bois  aux  floraisons  prochaines. 

Aux  saisons  où  Merlin 
Secouera  son  sommeil  sous  les  branches  des  chênes  ; 

Je  bois  au  clair  malin 

«  Où  l'oiseau  du  réveil,  l'alouette  joyeuse 

Dans  les  airs  chantera. 
Où,  le  front  couronné  de  verveine  et  d'yeuse, 

La  Gaule  revivra!...  » 

De  cidre  écumant  j'ai  rempli  mon  verre, 

l;t  je  l'ai  levé; 
Saluant  le  ciel,  la  mer  et  la  terre, 
J'ai  vidé  d'un  trait  la  coupe  légère 

De  cristal  gravé. 


LliS    CONTirURl- S.  iC>7 


Les  Confitures. 


A  la  Saint-Jean  d'été  les  groseilles  sont  mûres. 
Dans  le  jardin  vêtu  de  ses  plus  beaux  habits, 
Prés  des  grands  lis,  on  voit  pendre  sous  les  ramures. 
Leurs  grappes  couleur  d'ambre  pu  couleur  de  rubis. 

Voici  l'heure.  Déjà  dans  l'ombreuse  cuisine 
Les  p.iins  de  sucre  blancs,  coiffés  de  papier  bleu, 
Garnissent  le  dressoir  où  la  rouge  bassine 
Reflète  les  lueurs  du  réchaud  tout  en  feu. 

On  apporte  les  fruits  à  pleines  panerées 
Et  leur  parfum  discret  embaume  le  palier; 
Les  ciseaux  sont  à  l'œuvre  et  les  grappes  lustrées 
Tombent  comme  les  grains  défilés  d'un  collier. 

Doigts  d'enfants,  séparez  sans  meurtrir  la  groseille 
Les  pépins  de  la  pulpe  entr'ouverte  à  demi  1 
La  grave  ménagère,  attentive,  surveille 
Ce  travail  délicat  d'abeille  ou  de  fourmi. 


lés  LEBLEUETLENOIR. 

Vous  êtes  son  chef-d'œuvre,  exquises  confitures  I 
Dès  que  l'été  fleurit  les  liserons  du  seuil, 
Après  les  longs  travaux  :  lessives  et  coutures, 
Vous  êtes  son  plaisir,  son  luxe  et  son  orgueil. 

Que  le  monde  ait  la  fièvre  et  que  sa  turbulence 
Gronde  ou  s'apaise  au  loin,  la  tranquille  maison 
Toujours,  à  la  Saint-Jean,  voit  les  plats  de  faïence 
Se  remplir  de  fruits  mûrs  et  prêts  pour  la  cuisson. 

Le  clair  sirop  frissonne  et  bout;  l'air  se  parfume 
D'une  odeur  framboisée...  Enfants,  spatule  en  main. 
Enlevez  doucement  la  savoureuse  écume 
Qui  mousse  et  perle  au  bord  des  bassines  d'airain  ! 

Voici  l'ccuvre  achevé.  La  grave  ménagère 
Contemple  fièrement  les  godets  de  cristal 
Où  la  groseille  brille,  aussi  fraiche  et  légère 
Que  lorsqu'elle  pendait  au  groseillier  natal. 

Les  grappes  maintenant  bravent  l'hiver...  Comme  elles, 
La  ménagère  échappe  aux  menaces  du  temps; 
La  paix  du  cœur  se  lit  dans  ses  cilmes  prunelles, 
Et  sou  front  reste  lisse  et  pur  comme  ^  vingt  ans. 


SOUVENIR.  169 


Souvenir. 


A  Lco  Joui) Cl- 1. 


BIEN  souvent  j'y  pense  l'hiver!... 
Je  revois  comme  dans  un  rêve 
La  route  escarpée  et  la  grève' 
Où  l'on  entend  gronder  la  mer. 

Je  vois  la  maison...  Isolée, 
Murs  décrépis  et  volets  clos. 
Vers  le  seuil,  de  pâles  bouleaux 
Penchaient  leur  tête  échevelée... 

Hors  du  vieux  logis,  chaque  soir. 
Un  homme  glissait  comme  une  ombre, 
Et  sur  la  route  nue  et  sombre, 
Comme  une  ombre  venait  s'asseoir. 


1  70  L  E    1!  L  F.  U     n  r    L  E    N  O  I  R. 

Là,  dans  l'angoisse  et  dans  l'attente. 

L'oreille  au  vent,  il  écoutait, 

Et  la  rafale  lui  portait 

Les  rumeurs  de  la  mer  montante. 

Tout  à  coup,  sur  le  grand  chemin, 
Le  bruit  sourd  d'une  dilin;cnce 
Retentissait  dans  le  silence... 
Alors,  saluant  de  la  main. 

Il  se  levait...  Claire  et  joyeuse, 
Tintait  la  chanson  des  grelots; 
Au  galop  de  quatre  chevaux 
La  voiture  accourait,  poudreuse. 

L'homme,  y  plongeant  un  long  regard. 
Interrogeait  chaque  visage... 
Personne!...  Et  le  lourd  attelage 
Disparaissait  dans  le  brouillard. 


D'un  air  de  tristesse  inquiète 
Il  laissait  retomber  ses  bras. 
Puis,  l'œil  éteint  et  le  front  bas, 
Reg-ignait  sa  maison  muette. 


~o  o" 


Il  revenait  le  lendemain  ; 
Il  revenait,  infatigable. 
Comme  la  mer  qui,  sur  le  sable, 
Se  trainc  et  sanglote  sans  fin. 


SOUVENIR.  [yt 


Que  le  printemps  fleurit  la  mousse. 
Que  l'hiver  blanchît  le  fossé, 
Il  était  là,  toujours,  poussé 
Par  sa  folie  étrange  et  douce. 

Qu'attendait-il?...  On  l'ignorait. 
Seule,  la  mer  houleuse  et  noire 
Peut-être  savait  son  histoire, 
Et  seule  gardait  son  secret. 

Sur  la  mer  profonde  et  sonore 
Plus  d'un  être  cher  est  parti. 
Et  plus  d'un  y  reste  englouti, 
Que  sa  maison  espère  encore... 

Je  n'ai  jamais  su  quel  espoir 
Ou  quelle  obscure  tragédie 
Secouait  ton  âme  engourdie, 
Pauvre  fou!...  Mais  souvent,  le  soir. 

J'y  repense;  et,  comme  en  un  rêve. 
Je  vois  la  maison,  les  bouleaux. 
L'homme  immobile,  et  les  chevaux 
Fuyant  dans  la  nuit  qui  se  lève. 


172  LE     BLEU     ET    LE    NOIE. 


In    niemoriam. 
Pour  le  Tombeau  de  Théophile  Gautier. 


O  poète  amoureux  des  formes  lumineuses, 
O  maître,  si  j'avais  en  ce  siècle  bourgeois 
A  bâtir  pour  ta  cendre  un  tombeau  de  mon  choix. 
Tu  ne  dormirais  pas  dans  nos  villes  haineuses. 

Ton  tertre  fleurirait  aux  pentes  gazonneuses 
Des  forets  de  l'Ardenne,  où  Shakspeare  autrefois, 
Sous  la  voûte  sonore  et  verte  des  grands  bois. 
Faisait  rire  et  chanter  de  blanches  promeneuses. 

Rosalinde  y  viendrait.  Jacquc,  assis  au  revers 
Du  monument  semé  d'anémones  pâlies. 
Exhalerait  sa  verve  et  ses  mélancolies. 

Et  doucement  l'air  bleu,  le  soleil,  les  beaux  vers, 
Traversant  l'épaisseur  de  la  ramure  altière. 
Iraient  vers  toi  qui  fus  chant,  couleur  et  lumière. 


KEPOSOIRS.  173 


Reposoirs. 


J  Camille  Fisiiè. 


QUAN'D  juin  répand  les  fleurs  de  ses  pleines  corbeilles 
Chèvrefeuilles,  jasnains,  lis  et  coquelicots; 
Tous  ces  parfums  mêlés  à  des  chansons  d'abeilles 
De  mes  jeunes  saisons  réveillent  les  échos, 

O  mes  clochers  lorrains,  j'entends  vos  sonneries! 
Je  vois  la  rue  ombreuse  et  le  ciel  calme  et  bleu. 
Les  pavés  jonchés  d'herbe  et  de  sauges  fleuries, 
Et  les  verts  reposoirs  dressés  aux  Fétes-Dieu. 

Dans  un  frais  tourbillon  de  roses  effeuillées 
Et  de  vapeurs  d'encens,  les  chapes  aux  plis  lourds, 
Les  surplis  blancs  et  les  robes  ensoleillées 
Défilent  aux  sons  lents  et  rythmés  des  tambours. 


174  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Pcnctr.int  et  pareil  à  la  senteur  confuse 

Des  fenouils  et  des  buis  dont  le  sol  est  semé, 

Un  mystique  désir  dans  les  âmes  s'infuse, 

Un  vague  et  doux  besoin  d'aimer  et  d'être  aimé. 

Les  fillettes  d'hier,  aujourd'hui  demoiselles, 
Dans  leurs  yeux  mi-baissés  ont  un  plus  chaud  rayon  ; 
La  chrysalide  s'ouvre,  il  lui  pousse  des  ailes, 
L'odeur  des  roses  fait  sortir  le  papillon. 

Les  bruns  adolescents  aux  rêves  encor  vierges, 
En  les  voyant  passer,  blondes,  l'air  ingénu, 
Auprès  des  reposoirs  tout  étoiles  de  cierges, 
Se  sentent  remués  par  un  trouble  inconnu. 

Et  dans  leur  cœur  naïf,  si  facile  à  s'éprendre. 
Ces  p.ilcs  écoliers,  timides  et  muets. 
Dressent  un  reposoir  mystérieux  et  tendre 
Pour  leur  premier  amour  couronné  de  bluets; 

Une  chapelle  intime  où  l'image  adorée 
Sur  un  autel  de  lierre  et  de  mousse  des  bois 
Repose  chastement,  nuit  et  jour  honorée 
De  fervents  chapelets  égrenés  à  mi-voix. 

Ils  y  font  tous  les  soirs  des  stations  pieuses, 
lis  en  jonchent  de  fleurs  le  seuil  tous  les  matins, 
Et  plus  tard  même,  au  cours  des  saisons  orageuses, 
Q.uand  l'idole  est  tombée  et  les  cierges  éteints. 


RHPOSOIRS.  175 


Quand  ne  résonnent  plus  les  amoureux  rosaires, 
Autel  du  Souvenir,  idéal  reposoir. 
Sur  ta  mousse  fanée,  aux  jours  anniversaires, 
Leur  pensée  aime  encor  à  venir  se  rasseoir. 

Elle  y  pose  son  aile  errante,  et  s'y  recueille 
Lorsque  les  carillons  bourdonnant  dans  l'air  bleu, 
Et  les  parfums  épars  des  roses  qu'on  effeuille 
Annoncent  le  retour  joyeux  des  Fêtes-Dieu. 


L'AMOUR  AUX  BOIS 


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Une    Ondine. 


AVEC  sa  bouche  aux  coins  rieurs 
Et  ses  yeux  verts  qu'un  regret  baigne 
De  mélancoliques  lueurs, 
Elle  a  pris  mon  âme,  elle  y  règne, 
Et  j'aime  sa  blonde  beauté. 
Faite  de  grâce  et  de  fierté. 

Elle  est  flintasque  et  violente, 
Mais  elle  met  dans  un  coup  d'œil 
Une  caresse  amollissante 
Qui  fond  lentement  mon  orgueil, 
Et  sa  voix  d'enfant  qui  se  fâche. 
Sa  voix  boudeuse  me  rend  lâche. 

Tantôt  douce  comme  une  fleur. 
Tantôt  inflexible  et  hautaine, 
Elle  a  des  tendresses  de  sœur 
Et  des  arrogances  de  reine  ; 
Sphinx  adorable,  esprit  amer 
Et  fascinant  comme  la  mer. 


1 8o  I.  n    B  L  E  U    £  r    L  E    N  O  I  R. 


A  la  fois  provocante  et  chaste. 
Câline  et  froide  tour  à  tour. 
Par  un  mystérieux  contraste, 
Elle  désire  et  craint  l'amour; 
La  volupté,  comme  une  hermine. 
Dort  aux  neiges  de  sa  poitrine. 

Est-ce  le  sommeil  ou  la  mort?... 
La  charmeuse  que  j'aime  est-elle 
Une  Ondine  des  lacs  du  Nord 
Aux  amours  humaines  rebelle? 
Une  Elfe  aux  blonds  cheveux  tressés 
Avec  des  nénuphars  glacés?... 

Sa  blancheur  de  vierge  m'attire, 
Le  chant  de  sa  voix  m'a  troublé, 
Et  je  cherche  sans  cesse  à  lire, 
Dans  son  cœur  mobile  et  voilé, 
L'énigme  obscure,  impénétrable. 
Qui  me  captive  et  qui  m'accable. 

Avec  sa  bouche  aux  coins  rieurs 

Et  ses  yeux  verts  qu'un  regret  baigne 

De  mélancoliques  lueurs, 

Elle  a  pris  mon  .âme,  elle  y  règne, 

Et  j'aime  pour  l'éternité 

Sa  blonde  et  neigeuse  beauté. 


MYTHOLOGIE.  l8l 


Mythologie. 


C'ÉTAIT  au  bois,  en  mars,  et  le  merle  sifflait. 
Elle  allait  devant  moi,  délicate  et  mignonne, 
Et  sa  main  me  montra  dans  l'ombre  une  anémone 
Rose,  auprès  de  ses  sœurs  blanches  comme  du  lait. 

Je  lui  contai  la  fable  antique  :  —  le  filet 
D'où  s'élance  le  dieu  que  la  haine  aiguillonne, 
Adonis  qui  se  meurt  et  l'herbe  qui  fleuronne, 
Empourprée,  à  la  place  où  le  sang  pur  coulait. 

Elle  écoutait...  Soudain  aux  ronces  de  la  haie 
Son  doigt  meurtri  saigna...  Ma  bouche  sur  la  plaie 
Comme  un  vin  capiteux  but  la  rouge  liqueur... 

Goutte  à  goutte,  le  sang  tomba  dans  ma  poitrine. 
Et,  comme  aux  temps  lointains  de  la  fable  divine, 
La  pourpre  fleur  d'amour  s'entr'ouvrit  dans  mon  cœur. 


l82  LE    BLEU    El'    LE    NOIR. 


Au    bal. 


L'orchestre  joue  un  air  plein  de  molles  langueurs  ; 
Les  couples  enlaces  tournoient; 
En  un  bain  de  musique  et  d'extase  les  cœurs 
Et  les  regards  brûlants  se  noient; 

Et  dans  ce  tourbillon  jeune  et  voluptueux 

Je  vois  passer  ma  seule  amie; 
Un  p.àle  nénuphar  parmi  ses  blonds  cheveux 

Entr'ouvre  sa  fleur  endormie. 

Blanche,  rêveuse  et  chaste,  au  bras  qui  la  conduit, 

Impénétrable,  elle  se  livre; 
De  mouvements  rythmes,  de  musique  et  do  bruit, 

Fière  et  muette,  elle  s'enivre. 

Ses  petits  pieds  légers  effleurent  le  parquet 

Aux  sons  de  la  flûte  câline. 
Et  les  pétales  blancs  que  sème  son  bouquet 

Viennent  tomber  sur  ma  poitrine. 


AU    BAL.  183 

Elle  passe,  et  tandis  que  l'émanation 

De  ses  muguets  remplit  l'air  tiède, 

Un  sauvage  désir  fait  comme  explosion 
Dans  mon  cœur  jaloux,  et  l'obsède. 

Je  voudrais  la  saisir  dans  mes  bras,  et  pareil 

Au  cavalier  de  la  ballade. 
L'emporter  au  galop  loin  du  fol  appareil 

De  ce  monde  faux  et  malade  ; 

M'enfuir  au  fond  des  bois  où  les  papillons  seuls 
Dansent  sur  les  eaux  des  fontaines, 

Où  les  sapins  rêveurs  et  les  calmes  tilleuls 
Mêlent  leurs  salubres  haleines; 

Et  là,  dans  le  silence  auguste  et  solennel 

De  la  renaissante  verdure. 
Boire  sans  fin  le  lait  de  l'amour  éternel 

Au  large  sein  de  la  Nature. 


184  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 


Premier    soleil. 


JEUNES  tous  deux,  elle  charmante, 
Ils  erraient  aux  bois  en  hiver; 
Sous  sa  voilette  transparente 
Luisaient  ses  yeux  couleur  de  mer. 

Dans  la  mousse  et  les  feuilles  sèches 
Ils  suivaient  un  étroit  sentier, 
Et  sur  leurs  fronts  plcuvaient  les  flèches 
D'un  soleil  déjà  printanier. 

Pas  une  pousse  verte  encore 
N'apparaissait  dans  le  fourré; 
Mais  on  voyait  comme  une  aurore 
D'avril  dans  le  ciel  bleu  nacré. 

L'oiseau  pépiant  sur  la  branche, 
Les  langueurs  de  l'air  attiédi. 
Le  son  des  cloches  du  dimanche 
Qu'apportait  le  vent  du  midi, 


PREMIER    SOLEIL 


Tout  ne  formait  qu'une  harmonie... 
Ils  marchaient,  et  l'enivrement 
De  cette  musique  infinie 
En  eux  pénétrait  lentement. 

Soudain  pâlissante,  alourdie, 
Sa  tête  blonde  s'inclina  : 
«  Le  soleil  m'a  presque  étourdie,  » 
Fit-elle,  et  son  corps  frissonna. 

Ses  longs  cils,  comme  une  dentelle. 
S'abaissèrent  sur  ses  grands  yeux. 
«  Ce  n'est  rieri,  poursuivons,  dit-elle. 
Je  me  sens  forte,  et  je  vais  mieux...  » 

Sous  la  peau  qui  redevint  rose 
Le  sang  courut,  son  œil  brilla. 
Et  sur  sa  bouche  demi-close 
Un  sourire  se  réveilla. 

Elle  avait  levé  sa  voilette. 
Son  sein  tout  ému  palpitait; 
Une  senteur  de  violette 
De  son  corsage  ouvert  montait... 

Lui,  rempli  d'audaces  nouvelles, 
Fut  tenté  de  mettre  un  baiser 
Sur  ces  j-eux  aux  claires  prunelles... 
Mais  il  s'arrêta  sans  oser. 


H 


l86  LE     BLEU    r.T    LE    NOIR. 

Le  baiser  resta  sur  sa  lèvre; 
Il  craignit  de  jeter  d'abord 
Cette  note  pleine  de  fièvre 
Dans  cet  harmonieux  accord, 

Et  sage,  il  sut  avec  délice 
Savourer  ce  rare  bonheur, 
D'aspirer  au  bord  du  calice 
Le  parfum  sans  froisser  la  fleur. 


DÉSIR    d'à  VU  IL.  1S7 


Désir    d'avril. 


EN  plein  bois,  dans  la  profondeur 
Où  tremblent  des  lumières  vertes, 
Les  muguets  à  l'exquise  odeur 
Balancent  leurs  grappes  ouvertes. 

Les  muguets  blancs  m'ont  enivré, 
Et  la  voix  du  ramier  qui  chante 
Au  fond  de  mon  cœur  enfiévré 
A  mis  un  désir  qui  fermente. 

Les  blancs  muguets  couleur  de  lait 

Et  leur  haleine  parfumée 

Ont  évoqué  dans  la  forêt 

Ton  cher  fantôme,  ô  bien-aimée! 


l88  LE     BLEU     ET    LE    NOIR. 

Tes  bras  ont  leur  douce  pâleur, 
Tes  5'eux  sont  verts  comme  leur  tige, 
Et,  comme  leur  exquise  odeur, 
Tes  baisers  donnent  le  vertige. 

Parmi  les  bois  mélodieux 
Qu'avril  embaume  et  renouvelle, 
Oh!  de  ta  lèvre  et  de  tes  yeux 
Goûter  la  caresse  éternelle  1... 


LE     VIN    DE    MAL  j8g 


Le  Via  de    mai  ' 


VOICI  le  Mai,  le  jeune  mois!    ^ 
Connais-tu  la  Reine  des  bois, 
L'aspérule  aux -pâles  fleurettes? 
Vers  la  source  aux  miroirs  tremblants 
Où  les  chevreuils  ont  leurs  retraites, 
Elle  étale  ses  bouquets  blancs, 
Bordés  de  vertes  collerettes. 

Dès  qu'elle  éclôt  dans  les  taillis, 
Aux'vignerons  de  mon  pays 
Sa  fine  odeur  la  recommande. 
Sous  les  voûtes  de  leur  caveau 
Nos  vieux  buveurs,  race  gourmande. 
Infusent  dans  le  vin  nouveau 
L'aspérule  qui  sent  l'amande. 


Liqueur  qu'on  prépare,  en  Lorraine  et  en  Alsace, 
faisant   infuser  dans  du   vin  blanc  les  fleurs  de  Vaspiride 
odoravle. 


190  LE    BLEU    ET    LE    N' O  I U. 

Ce  vin  mousseux  et  parfumé, 
Mignonne,  c'est  le  Vin  de  mai. 
Sa  sève  semble  composée 
D'arômes  subtils  et  flottants  : 
Sucs  de  fleurs,  gouttes  de  rosée... 
Aux  sources  <némes  du  printemps 
On  dirait  la  liqueur  puisée  1 

Dès  l'aube,  allons  par  les  chemins 
Cueillir  tous  deux  à  pleines  mains 
Les  blanclies  fleurs  toutes  mouillées  ; 
Et  sous  le  toit  hospitalier 
Du  garde  des  jeunes  feuillécs. 
Versons  le  clair  vin  du  cellier 
Sur  leurs  tiges  ensommeillées... 

Le  vin  mousse...  Le  voilà  prêt! 
O  bûcherons  de  la  forêt, 
Prêtez-nous  vos  coupes  de  hêtre 
Qu'imprègne  cncor  l'odeur  du  bois... 
Salut  h  Mai  qui  vient  de  naître! 
Je  bois  à  ta  beauté;  je  bois. 
Mignonne,  à  l'amour,  notre  maitrc  ! 

Déjà  mes  yeux  sont  Aisçinés 

Par  tes  grands  yeux  illuminés. 

Le  loriot  dans  les  clairières 

Chante,  et  je  crois  entendre  un  chœur 


LE    VIN    DE    MAI.  I9I 


Lointain  de  flûtes  printunières, 
Et  je  sens  passer  dans  mon  cœur 
L'âme  des  plantes  forestières! 

Tout  est  joie  et  sérénité. 

Les  bruits  de  la  grande  cité, 

Où  la  vie  humaine  est  si  dure, 

Expirent  sous  les  églantiers 

Dont  la  foret  fait  sa  bordure... 

A  nous  l'ombre,  à  nous  les  sentiers 

Fuyant  sous  la  haute  verdure! 

Les  pommiers  des  bois,  sur  nos  fronts. 

Sèment  par  milliers  leurs  fleurons 

Teints  des  nuances  de  l'aurore, 

Et  moi-même,  joyeux  semeur, 

Sur  tes  lèvres  je  fais  éclore 

Mille  baisers  que  la  saveur 

Du  Vin  de  mai  parfume  encore. 


192  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Souvenir    du    Bas-Bréau. 


LES  hêtres  blancs  et  droits  élancent  haut  leur  voûle  ; 
A  leurs  pieds,  la  fougère  et  la  mousse  au  passant 
Offrent  des  lits  moelleux  où  le  sommeil  descend 
Lentement,  comme  un  miel  distillé  goutte  à  goutte. 

Une  lumière,  en  pluie  impalpable  dissoute, 
Répand  sous  la  feuillée  un  jour  phosphorescent 
Où  des  papillons  bruns  monte  l'essaim  dansant, 
Où  le  glauque  lézard,  tapi  dans  l'herbe,  écoute... 

Aucun  bruit,  si  ce  n'est,  comme  un  rire  flùté, 
Le  chant  d'un  loriot  gourmand,  mis  en  gaité 
Par  l'espoir  d'un  hallier  plein  de  cerises  mûres. 

Partout  une  ombre  fraîche,  et  là-bas,  tout  au  fond, 
Dans  l'entrelacement  des  confuses  ramures, 
De  rares  coins  de  ciel  d'un  bleu  pur  et  profond. 


JOIE    DE    VIVRE.  193 


Joie   de   vivre. 
A  Georges  Lafenesfrc. 


LE  soleil  de  juillet  s'élance  à  l'horizon, 
Les  martinets  légers  qui  tournent  dans  la  nue 
Font  retentir  le  ciel  de  leur  vive  chanson. 

Une  ombre  fraîche  et  bleue  emplit  encor  la  rue, 
Mais  des  pavés  du  seuil  aux  poutres  du  pignon, 
Partout  avec  le  jour  la  vie  est  revenue. 

L'enfant  s'éveille  et  rit  dans  son  berceau  mignon, 
Des  fruits  roulent  vermeils  dans  l'étroite  embrasure 
D'une  échoppe,  et  là-bas,  en  nouant  son  chignon. 

Près  de  sa  vitre  où  tombe  un  rideau  de  verdure. 

Une  fille  aux  bras  nus  répète  à  haute  voix 

Les  refrains  familiers  qu'un  vieil  orgue  murmure. 


194  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Fuyons  la  ville  !  Viens,  loin  des  murs  et  des  toits. 
Aux  champs  où  la  rivière  épand  sa  nappe  blanche  ; 
Viens  dans  les  prés  eu  ileur,  en  plein  air,  en  plein  bois  1 

La  sève  en  gommes  d'or  tremble  aux  nœuds  de  la  branche, 

La  terre  grasse  exhale  un  parfum  de  sauté. 

Son  sein  gonflé  de  lait  comme  un  ruisseau  s'épanche. 

Plénitude,  salut  !  Forêts,  fleuve  argenté, 

Blés  verts,  salut!  Midi,  roi  des  heures  sereines. 

Et  toi,  midi  de  l'an,  pourpre  et  royal  été. 

Salut!  vous  répandez  de  fécondes  haleines. 

Et  je  sens  par  moments  s'infuser  dans  mon  sein 

La  gaité  de  la  source  et  la  vigueur  des  chênes. 

Oh!  la  santé,  la  joie  et  la  force!  L'essaim 
Des  rapides  désirs  et  des  jeunes  pensées 
Bourdonnant  dans  un  corps  harmonieux  et  sain  !.. 

Heureuse  l'alouette  aux  notes  cadencées 
Qui  fuit  allègrement  en  plein  azur!  Heureux 
Les  robustes  nageurs,  parmi  les  eaux  glacées. 

Dans  la  fraîcheur  du  bain  trempant  leurs  bras  nerveux  I 
Et  près  des  peupliers  aux  frissonnants  murmures. 
Mille  fois  plus  heureux  cucor  les  amoureux, 


JOIE    DE    VIVRE.  19$ 

Qui  marchent  triomphants  sous  les  molles  ramures  ! 

Ils  montent  vers  les  bois  épanouis  ;  là-bas 

Les  taillis  ont  pour  eux  des  champs  de  fraises  mûres. 

L'amour  luit  dans  leurs  yeux  et  sonne  dans  leurs  pas, 
Non  point  l'amour  tremblant  qui  doute  et  qui  soupire. 
Mais  le  dieu  qui  n'a  plus  à  livrer  de  combats, 

Et  qui,  sûr  de  lui-même  et  sûr  de  son  empire, 
Sans  désirs  étouffés  comme  sans  vains  regrets. 
N'est  jamais  las  d'aimer,  jamais  las  de  le  dire... 

Les  voici  cheminant  dans  la  paix  des  forêts. 
En  bas,  la  mousse  étend  ses  tapis  ;  la  ramée 
Dresse  là-haut  ses  toits  mobiles  et  discrets. 

Une  lumière  fine  et  tendre,  clair-semée, 
Allume  doucement  les  regards  de  l'ami 
Et  glisse  sur  le  cou  frais  de  la  bien-aimée. 

Tout  au  loin,  la  futaie  en  s'ouvrant  à  demi. 
Par-delà  des  rideaux  de  bruj-ère  empourprée. 
Laisse  voir  un  étang  sous  les  joncs  endormi. 

Voici  la  solitude  et  l'heure  désirée 

Des  propos  amoureux  et  des  oaristj-s  ; 

Les  yeux  cherchent  des  yeux  la  caresse  adorée. 


.196  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 

Ceux  de  l'ami  sont  bleus  comme  un  myosotis, 
Ceux  de  l'enfant  sont  bruns  comme  les  scabicuses  ; 
O  charme  des  beaux  yeux  par  l'amour  assortis! 

Regards  éclos  au  fond  des  prunelles  soyeuses. 
Magnétiques  regards  l'un  dans  l'autre  fondus. 
Quel  poème  dira  vos  extases  joyeuses? 

Ils  s'aiment...  Ruisselets  sous  les  ronces  perdus, 
Enflez  vos  voix  ;  fleurs  d'or,  entr'ouvrez  vos  calices  ; 
Volez,  bleus  papillons  aux  branches  suspendus; 

Mollement  et  sans  bruit,  coulez,  heures  propices  1 
O  volupté  de  vivre,  ô  volupté  d'aimer. 
Quel  hymne  redira  vos  intimes  délices?... 

Mais  le  temps  fuit,  le  temps  que  nul  ne  peut  charmer 

Sous  les  arbres  noueux  de  la  forêt  géante. 

Vers  l'occident,  le  ciel  commence  h  s'enflammer. 

Le  couple,  aux  sons  lointains  d'une  cloche  qui  chante, 
S'éveille  doucement  de  son  oubli  profond... 
La  blonde  enfant  rêveuse,  émue  et  frémissante, 

Sur  le  sein  de  l'ami  laisse  tomber  son  front 

Et  sourit;  on  entend  palpiter  sa  poitrine 

Dans  le  calme  du  soir  que  nul  bruit  n'interrompt. 


JOIE    DE    VIVRE.  197 

Et  tous  deux  lentement  descendent  la  colline. 
La  tendresse  à  pleins  flots  déborde  de  leurs  coeurs, 
Et  dans  les  prés  mûris  dont  l'herbe  au  vent  s'incline. 

Dans  la  gloire  des  fruits  et  la  grâce  des  fleurs, 

Les  étoiles  du  ciel  et  la  lune  dorée 

Qui  monte;  dans  les  sons,  les  clartés,  les  odeurs, 

Il  bénissent  la  Vie  éternelle  et  sacrée. 


198  I.I.     BLF.U     ET     I.E     NOIR. 


Amour    obstine. 


CEUX  qu'une  volupté  sans  larmes 
Nourrit  d'un  bonheur  calme  et  doux, 
Ceux-là  ne  savent  pas  tes  charmes, 
Amour,  maître  dur  et  jaloux  ! 


Si  tes  plus  exquises  délices 
Gardent  quelque  chose  d'amer, 
Tes  orages  et  tes  caprices 
Sont  attirants  comme  la  mer... 


Parfois  la  révolte  me  tente  ; 
Je  veux  briser  le  fil  vainqueur 
Dont  une  fée  ensorcelante 
Enlace  étroitement  mon  coeur. 


AMOUR    OBSTINÉ.  I99 

Je  pars,  je  vais  chercher  contre  elle 
Un  refuge  dans  la  forêt... 
«  Aide-moi,  verdure  nouvelle, 
A  rompre  son  magique  attrait!  » 


Mais  la  lumière  verdissante 
Q.ui  filtre  sous  les  grands  couverts 
Me  rappelle  la  fée  absente, 
L'ondine  aux  fascinants  yeux  verts. 


Aux  bouleaux  sa  grâce  est  pareille, 
La  source  est  l'écho  de  sa  voix. 
Je  songe  à  sa  bouche  vermeille 
Devant  les  framboises  des  bois. 


Le  ramier  chante,  et  la  cadence 
Des  roucoulements  langoureux 
Réveille  en  moi  la  souvenance 
De  nos  caresses  d'amoureux. 


Les  sauges  et  les  marjolaines 
Et  les  chèvrefeuilles  rosés 
Me  parlent  d'elle...  Leurs  haleines 
Ont  le  parfum  de  ses  baisers... 


200  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Je  quitte  la  forêt  sauvage, 
Et  las  de  mon  effort  viril, 
Je  retourne  à  l'ancien  servage 
Comme  un  banni  revient  d'exil. 


A  son  joug  charmeur  je  rapporte 
Mon  front  lâche  et  mon  cœur  confus, 
Et  je  vais  heurter  à  sa  porte, 
Tremblant  qu'elle  ne  l'ouvre  plus. 


LES     CLOCHES.  201 


Les   Cloches. 


LE  S  bois  sentent  l'automne,  et  le  sommeil  profond 
Des  grands  chênes  baignés  d'une  lumière  douce 
Est  à  peine  troublé  par  le  bruit  sourd  que  font 
Les  glands  mûrs  tombant  sur  la  mousse. 


Mets  ton  front  près  du  mien,  pose  ton  corps  lassé 
Sur  mon  bras  amoureux  qui  l'étreint  comme  un  lierre, 
Et  restons  dans  cette  ombre  où  septembre  a  dressé 
Pour  nous  ses  tapis  de  bruyère. 


Demeurons-y  blottis  ensemble,  ô  chère  enfant. 
Comme  au  fond  de  leur  nid  obscur  deux  hirondelles, 
Ou  dans  la  coque  verte  et  blanche  qui  se  fend 
Deux  brunes  châtaignes  jumelles. 

26 


202  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Les  yeux  mi-clos,  les  mains  dans  les  mains,  sous  les  bois. 

Savourons  le  lait  pur  des  voluptés  sereines. 
Tandis  qu'un  vent  léger  nous  apporte  les  voix 
Berceuses  des  cloches  lointaines. 


Les  sons  clairs  tout  remplis  d'endormantes  douceurs 
Se  fondent  mollement  dans  notre  extase... Écoute! 
On  dirait  que  leur  chant  limpide  dans  nos  coeurs 
Filtre  avec  l'amour,  goutte  à  goutte. 


Je  ne  sais  quoi  de  chaste  et  de  plus  amical 
Pénétre  en  nous  avec  ces  notes  argentines, 
Leur  musique  nous  rend  le  charme  virginal 
Des  blondes  saisons  enfantines; 


Des  saisons  d'autrefois,  sous  le  toit  familier 
Où  grimpent  des  jasmins  et  des  aristoloches, 
Quand  on  est  réveillé  dans  son  lit  d'écolier 
Par  les  voix  sonores  des  cloches. 


Vers  ce  passé  brumeux  je  me  crois  revenu... 
En  écoutant  vibrer  ces  voix  aériennes, 
Je  crois  depuis  l'enfance  avoir  toujours  tenu 
Tes  petites  mains  dans  les  miennes. 


LES     CLOCHES.  20^ 

Il  me  semble  qu'alors,  écoliers  nonchalants, 
Couchés  comme  aujourd'hui  surles  mousses  fleuries. 
Nous  suivons  à  travers  les  grandes  nuages  blancs 
Le  vol  des  claires  sonneries; 


Ou  bien  nous  cheminons  ensemble,  aux  Fêtes-Dieu, 
Par  les  sentiers  jonchés  d'herbes  que  le  pied  froisse, 
Tandis  que  tout  là-haut  bourdonnent  dans  l'air  bleu 
Les  carillons  de  la  paroisse. 


L'amour  adolescent,  frais  comme  un  reposoir, 
Vague  comme  un  parfum  d'encens  qui  s'évapore 
Ou  comme  les  soupirs  de  V Angélus  du  soir. 
L'amour  en  nos  coeurs  vient  d'éclore... 


O  mirage  produit  par  ce  pur  timbre  d'or,  • 
Charme  du  rythme  lent,  berceur  et  monotone! 
•  C'est  ce  magique  amour  qui  nous  enchaîne  encor 
Dans  les  bois  qu'embaume  l'automne. 


C'est  lui  qui  fait  tourner  comme  vers  un  aimant 
Mes  désirs  vers  tes  yeux  pleins  de  moites  caresses. 
Et  qui  soumet  mon  cœur  au  fier  commandement 
De  tes  lèvres  enchanteresses. 


204  I-E    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Ah!  qu'il  plane  longtemps  sur  nous,  le  jeune  dieu  ! 
Qu'il  nous  suive  partout,  au  soleil  et  dans  l'ombre, 
L'été  parmi  les  bois,  l'hiver  au  coin  du  feu. 
Partout,  durant  des  jours  sans  nombre  ! 


Qu'il  joigne  encornos  mains  et  rapproche  nos  fronts. 
Quand  au  fond  du  tombeau,  comme  sur  ces  bruyères, 
Côte  à  côte  étendus,  nous  nous  endormirons 
Au  chant  des  cloches  mortuaires; 


Et  puissent  dans  le  ciel  nos  âmes  voyager. 
Comme  les  sons  jumeaux  de  ces  cloches  paisibles, 
Qui  s'en  vont  deux  à  deux  avec  le  vent  léger 
Vers  les  étoiles  invisibles. 


iîy'n 


¥ 


CHANSONS  RUSTIQUES 


^SâL^ 


*-<\ 


La  Vigne  en  fleur, 


LA  fleur  des  vignes  pousse 
Et  j'ai  vingt  ans  ce  soir... 
Oh  !  que  la  vie  est  douce  ! 
C'est  comme  un  vin  qui  mousse 
En  sortant  ^u  pressoir 

Je  sens  ma  tête  prise 
D'ivresse  et  de  langueur. 
Je  cours,  je  bois  la  brise... 
Est-ce  l'air  qui  me  grise 
Ou  bien  la  vigne  en  fleur? 

Ah  1  cette  odeur  éclose 
Dans  les  vignes,  là-bas... 
Je  voudrais,  et  je  n'ose, 
Étreindre  quelque  chose 
Ou  quelqu'un  dans  mes  bras  I 


208  XE    BLEU     Et    LE     NOIR. 

Comme  un  chevreuil  farouche 
Je  fuis  sous  les  halliers; 
Dans  l'herbe  où  je  me  couche 
J'écrase  sur  ma  bouche 
Les  fruits  des  framboisiers; 

Et  ma  lèvre  charmée 
Croit  sentir  un  baiser^ 
Qu'à  travers  la  ramée 
Une  bouche  embaumée 
Vient  tendrement  poser... 

O  désir,  ô  mystère  1 
O  vignes  d'alentour, 
Fleurs  du  val  solitaire. 
Est-ce  là,  sur  la  terre. 
Ce  qu'on  nomme  l'amour? 


BRUNETTE.  2O9 


Brunette. 


VOICI  qu'avril  est  de  retour, 
Mais  le  soleil  n'est  plus  le  même 
Ni  le  printemps,  depuis  le  jour 
Où  j'ai  perdu  celle  que  j'aime. 

Je  m'en  suis  allé  par  les  bois. 
La  forêt  verte  était  si  pleine. 
Si  pleine  des  fleurs  d'autrefois, 
due  j'ai  senti  grandir  ma  peine. 

J'ai  dit  aux  beaux  muguets  tremblants  : 
«  N'avez- vous  pas  vu  ma  mignonne?  » 
J'ai  dit  aux  ramiers  roucoulants  : 
«  N'avez-vous  rencontré  personne?  » 

27 


2IO  LE     BLEU     ET    LE    X  01 R. 

Mais  les  ramiers  sont  restés  sourds, 
Et  sourde  aussi  la  fleur  nouvelle. 
Et  depuis  je  cherche  toujours 
Le  chemin  qu'a  pris  l'infidèle. 

L'amour,  l'amour  qu'on  aime  tant, 
Est  comme  une  montagne  haute  : 
On  la  monte  tout  en  chantant. 
On  pleure  en  descendant  la  côte. 


LEGENDE.  2H 


Légende  *. 


LE  brick  n'eut  pas  plutôt  sombré 
Avec  ses  grands  mâts  et  ses  voiles, 
Que  tout  le  ciel  fut  éclairé; 
A  la  lueur  de  mille  étoiles, 
On  vit  sainte  Azénor  volant 
Sur  mer,  ainsi  qu'un  goëland. 

La  sainte  prit  dans  l'algue  verte 
Le  capitaine  à  demi  mort. 
Et  sur  son  aile  large  ouverte 
Le  conduisit  droit  jusqu'au  port  : 
«  Réveille-toi,  beau  capitaine. 
Voici  ta  ville  et  ton  domaine,  a 

*  Voir  le  drame  de  Jean-Marie,  du  même  auteur. 


212  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Sitôt  qu'il  fut  à  son  château, 
Trois  fois  sur  la  porte  fermée 
Sa  main  fît  sonner  le  marteau  : 
«  Sèche  tes  yeux,  ma  hicn-aiméc, 
Celui  que  tu  croyais  perdu, 
Sainte  Azénor  te  l'a  rendu.  » 


TRIMAZO.  2i: 


Trimazô 


CHANSON    DE    MAI 


(Meuse  et  pays  McssinJ 


Nous  avons  gravi  les  premiers 
La  pente  des  collines  ; 
Les  blés  étaient  verts,  les  pommiers 

Neigeaient  dans  les  ravines. 
Les  prés  étaient  comme  un  jardin, 
Et  l'herbe  d'amour  a  soudain 
Fleuri  dans  nos  poitrines. 

Les  ramiers  des  bois  s'accouplaient 
Au  creux  des  vieilles  souches. 

Tous  les  oiseaux  rossignolaient 
Et  semblaient  moins  farouches; 


2r4  LEBLEUETLE     NOIR. 

Et  comme  une  brise  d'été, 
Un  soupir  d'amour  est  monté 
De  nos  cœurs  à  nos  bouches. 


Voici  le  mai,  le  mois  de  mai! 
Par  la  grâce  des  fleurs  nouvelles 
Que  tout  cœur  dolent  soit  charmé; 
A  la  chanson  des  hirondelles 
due  tout  cœur  aimant  soit  aimé! 
Voici  le  mai,  le  mois  de  mail 


■^s^ 
^ 


LES  PAYSANS  DE  L'ARGONNE 

1792 

A    Coquclin   cadet. 


:tri 


Les  Paysans  de  l'Argonne. 
1792 


VERDUN  s'était  rendu.  Serrés  en  noires  lignes. 
Les  bataillons  prussiens  escaladaient  nos  vignes. 
Vers  l'Argonne,  aux  grands  bois  noyés  dans  les  brouillards, 
Ils  s'avançaient  nombreux,  insolents  et  pillards, 
Et  les  corbeaux,  trompés  par  ces  voix  allemandes, 
Se  croyaient  en  famille  et  saluaient  leurs  bandes. 
Tous  se  voyaient  déjà  triomphants,  et,  le  soir. 
Leurs  généraux  grisés  par  le  vin  du  terroir 
Taillaient  la  France  entre  eux  comme  un  cerf  qu'on  démembre. 
La  route  cependant  était  rude.  Septembre 
Versait  à  flots  les  pleurs  de  son  ciel  pluvieux, 
Les  fourgons  dans  la  boue  entraient  jusqu'aux  essieux. 
Et  les  hommes  juraient  et  faisaient  triste  mine. 
Ayant  au  front  la  pluie,  au  ventre  la  famine. 
Les  bourgs  étaient  déserts;  les  paysans  lorrains 
Cachaient  dans  les  forêts  leurs  troupeaux  et  leurs  grains, 
Et,  quand  chez  un  fermier  les  fourrageurs  avides 
Arrivaient,  l'écurie  et  la  huche  étaient  vides... 

28 


2l8  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Leurs  premiers  régiments,  à  demi  morts  de  foim, 
Avaient  atteint  Grandpré;  devant  eux,  à  la  fin, 
L'Argonne  se  dressait,  profonde,  sombre  et  haute. 
Quand  un  des  espions  rapporta  qu'à  mi-côte. 
Dans  un  taillis  coupé  par  des  fossés  bourbeux. 
Des  paysans  s'étaient  enfuis  avec  leurs  bœufs. 
D'abord  ce  fut  un  rauque  et  brutal  cri  de  joie, 
Puis  en  silence,  et  pour  ne  pas  manquer  la  proie, 
On  cerna  le  taillis. 

Au  milieu  des  halliers, 
Cent  hommes  environ,  fermiers  et  journaliers. 
Pâles,  armés  de  faux  et  de  vieilles  cpées. 
Faisaient  le  guet,  tandis  qu'à  l'ontour  des  cépées. 
Leurs  grands  bœufs  ruminaient  d'un  air  indifférent. 
Tout  à  coup  un  rayon  de  soleil,  éclairant 
L'épaisseur  du  fourré,  laissa  voir  sous  les  ormes 
Les  fusils  des  Prussiens  et  leurs  noirs  uniformes. 
»  A  nous!  »  dit  un  berger...  Sa  voix  vibrait  encor. 
Quand  un  coup  de  mousquet  l'étendit  roide  mort. 
Ils  étaient  dix  contre  un  ;  d'ailleurs  que  peuvent  faire 
De  pauvres  paysans  contre  des  gens  de  guerre?... 
On  se  rendit.  Un  chef  écrivit  le  détail 
Des  parts  que  chacun  d'eux  avait  dans  le  bétail, 
Et  leur  remit,  avec  d'améres  railleries. 
Un  bon  sur  le  Trésor,  payable  aux  Tuileries... 
Puis  en  criant  hourra  !  les  soldats  deux  à  deux 
Défilèrent,  poussant  le  troupeau  devant  eux. 
Les  bœufs,  en  mugissant,  et  les  génisses  rousses 


LES    PAYSANS    DE    LARGONNE.  219 

Tournaient  le  front  d'un  air  plaintif,  et  leurs  voix  douces 
Retentissaient  au  loin.  Les  paysans  navrés 
Les  regardaient  partir,  muets,  les  poings  serrés. 
Et  des  larmes  de  feu  brûlaient  leur  peau  tannée... 

Amour  de  la  maison  où  notre  race  est  née, 
Haine  de  l'étranger  qui  vient  prendre  au  pays 
Le  blé  de  ses  sillons  et  le  sang  de  ses  fils. 
Fier  sentiment  du  droit  écrasé  par  la  force. 
C'est  vous  qui  pénétrez  nos  cœurs  à  rude  écorce  ! 
Nous  ne  comprenons  rien,  nous  autres  laboureurs, 
Aux  querelles  des  rois  avec  les  empereurs, 
Nous  ne  connaissons  pas  la  gloire  et  ses  chimères  ; 
Mais  nous  savons  que  les  enfants  sont  à  leurs  mères, 
Q.ue  nos  champs  sont  à  nous,  que  le  sang  veut  du  sang, 
Et  nous  nous  soulevons  comme  un  flot  menaçant... 

Les  paysans,  avec  des  pleurs  dans  les  paupières, 
Demeurèrent  longtemps  au  milieu  des  bruyères. 
Tout  à  coup,  brandissant  leurs  faux,  mêlant  leurs  voix, 
Ils  jetèrent  un  cri  qu'au  loin  l'écho  des  bois 
Répercuta  comme  un  tonnerre,  et,  l'œil  f;irouche, 
La  rage  dans  le  cœur,  la  vengeance  à  la  bouche, 
Ils  bondirent  parmi  les  ronces  des  halliers 
Comme  un  fauve  troupeau  de  rudes  sangliers. 
Ils  coururent  ainsi  jusqu'aux  âpres  falaises 
Où  les  noirs  charbonniers  surveillaient  leurs  fournaises. 
Tout  un  groupe  vaillant  vivait  sur  ces  hauteurs  : 
Braconniers,  bûcherons,  hardis  et  fiers  lutteurs. 


220  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 

Hors  d'haleine,  tremblant  de  liâte  et  de  colère, 

Le  doyen  des  fermiers  leur  raconta  l'affaire, 

Et  quand  il  eut  fini,  le  maître  charbonnier 

Remplit  sa  poire  à  poudre  et  boucla  son  carnier. 

C'était  un  grand  vieillard  aux  traits  durs  et  moroses, 

Il  avait  vu  beaucoup  de  pays  et  de  choses. 

Et  savait  lire  :  Amis,  leur  dit-il,  vengeons-nous. 

Vengeons-nous  dès  ce  soir  !.. .  Ces  Prussiens  sont  des  loups 

Qui  nous  dévoreront,  si  nous  les  laissons  faire. 

Ils  nous  prendront  jusqu'au  dernier  lopin  de  terre, 

Ils  viendront  se  gorger  de  notre  vin  vermeil 

Et  dégourdir  leur  sang  à  notre  chaud  soleil... 

Nous  sommes  la  lumière  ;  eux,  ils  sont  les  ténèbres  ! 

Donc,  en  marche,  et  traquons  à  mort  ces  loups  funèbres  1 

Je  sais  où  doit  passer  un  de  leurs  régiments. 

Venez  tous,  et  ce  soir,  contre  les  Allemands 

Ce  que  nous  défendrons,  avec  notre  existence, 

Ce  sera  le  joyeux  et  libre  sol  de  France!  » 

Il  dit  et  se  leva.  Son  profil  maigre  et  fier 

Se  découpait  en  noir  sur  le  couchant  d'or  clair. 

Ayant  pris  son  fusil,  il  partit,  l'air  tranquille, 

Comme  pour  une  :hasse,  et  derrière,  à  la  file, 

Dans  un  sentier  bordé  de  genêts  et  de  houx, 

Graves,  silencieux,  ils  le  suivirent  tous... 

Ils  marchaient,  et  la  nuit  tombait,  et  les  nuées. 

Où  les  éclairs  perçaient  de  blafardes  trouées, 

Dans  le  ciel  orageux  amassaient  leurs  plis  lourds. 

L'averse  ruisselait...  Ils  avançaient  toujours. 


LES    PAYSANS    DE    L  A  R  G  O  N  N  E.  221 

Enfin  le  charbonnier  sur  le  bord  d'une  pente 
Fit  halte,  et,  leur  montrant  la  profondeur  béante, 
Murmura  lentement  :  «  C'est  par  là  qu'ils  viendront.  » 
Dans  la  roclie  un  ravin  s'ouvrait,  et  d'un  seul  bond 
Descendait  brusquement  au  fond  d'une  clairière. 
Un  torrent  s'y  creusait  un  étroit  lit  de  pierre. 
Et  la  route  longeait  à  pic  le  cours  de  l'eau. 
Du  creux  de  ce  couloir  au  sommet  du  plateau, 
Selon  l'efFort  du  vent,  la  voix  d'une  cascade 
Arrivait  jusqu'aux  gens  placés  en  embuscade, 
Tantôt  comme  un  fracas  de  chevaux  au  galop 
Et  tantôt  comme  un  faible  et  limpide  sanglot. 

Les  paysans  avaient  barricadé  la  route. 
Ils  attendaient,  le  cœur  plein  d'angoisse  et  de  doute. 
Lorsque,  vers  le  ravin  penchant  son  front  noirci. 
Le  charbonnier  leur  dit  :  «  Écoutez!...  Les  voici...  » 

En  effet,  à  travers  la  pluie  et  la  rafale, 

On  distinguait  un  bruit  confus...  Par  intervalle 

La  rumeur  s'accroissait.  De  brefs  commandements 

Retentissaient  pareils  à  des  croassements. 

Et  les  éclairs  faisaient  briller  les  baïonnettes. 

Et  déjà  des  soldats  les  voix  montaient  plus  nettes. 

Le  charbonnier  cria  :  «  Mort  aux  brigands!...  A  mort!...  d 

Et  ce  fut  le  signal...  Sur  ces  hommes  du  Nord 

Les  troncs  d'arbres  noueux  et  les  quartiers  de  roche 

Croulèrent,  comme  si  l'Argonne,  à  leur  approche, 

Eût  convulsivement  secoué  de  son  front 


222  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 


Les  rocs  et  les  forêts  pour  venger  son  affront. 
Les  grès  lourds  écrasaient  les  Prussiens  par  vingtaines. 
«  En  avant!  en  avant!  »  hurlaient  les  capitaines 
Avec  d'affreux  jurons,  mais  ils  hurlaient  en  vain: 
Les  plus  braves  soldats  tombaient  dans  le  ravin, 
Fous  de  peur,  et  mouraient  avec  un  cri  sauvage, 
En  songeant  au  clocher  lointain  de  leur  village. 
Les  rouges  coups  de  feu  se  croisaient  ;  les  blessés 
Râlaient  en  se  tordant  au  revers  des  fossés... 
«  Et  maintenant,  mes  fils,  marchons  à  l'arme  blanche!  » 
Dit  un  vieux  paysan... 

Et  comme  une  avalanche 
De  démons,  dans  la  gorge  on  les  vit  se  ruer, 
Pour  armes  ayant  pris  tout  ce  qui  peut  tuer  : 
Le  hoyau  du  sarcleur,  le  fléau  de  la  grange 
Et  la  serpe...  Ce  fut  une  sombre  vendange, 
Et  les  torrents  gonflés,  dans  leur  flot  écuniant, 
■Roulèrent  plus  d'un  froid  cadavre  d'.\Ilemand... 

Lorsque  tout  fut  fini,  lorsque  leur  dernier  homme. 
Le  front  dans  les  roseaux,  dormit  son  dernier  somme, 
Il  se  fit  un  silence.  Alors,  terrible  et  fier, 
Debout  sur  le  talus,  tandis  qu'un  large  éclair 
Promenait  sur  les  bois  sa  silhouette  immense. 
Le  maitre  charbonnier  cria  :  «Vive  la  I-"rance!  » 


AUX    AVANT-POSTES 


SOUVE'K^niS  DU  SIÈGE 


1870-1S71 


La  Chambrée. 


Nous  voilà  campés.  La  maison 
Est  une  très  vieille  demeure  : 
Escaliers  en  colimaçon, 
Murs  nus  à  donner  le  frisson, 
Noirs  corridors  où  le  vent  pleure. 

Un  singulier  assortiment 
De  meubles  garnit  notre  gîte. 
Épaves  qu'au  dernier  moment 
Les  hôtes,  pleins  d'effarement, 
Laissèrent  là  pour  fuir  plus  vite. 

Parmi  ces  tranquilles  débris 
D'une  vie  heureuse  naguère. 
L'escouade,  avec  de  grands  cris, 
S'installe  et  suspend  aux  lambris 
Son  bruyant  attirail  de  guerre. 

29 


2  26  LE    BLEU    F.  r    LE    NOIR. 

Au  fond  d'un  fauteuil  de  coutil 
Le  caporal  trône  et  pérore  ; 
Jacob  astique  sou  fusil 
Sur  la  huche,  près  du  fournil 
Où  le  pain  cuisait  dès  l'aurore; 

Sur  le  bord  d'un  bahut  ancien 
Où  la  ménagère  peut-être 
Jadis  serrait  son  paroissien, 
Un  philosophe  hégélien 
Pose  un  des  volumes  du  Maitre. 

La  nuit  vient,  ou  fait  le  café. 

La  chambrée  un  moment  s'apaise, 

Et,  du  fond  de  l'àtre  échauffé, 

Un  petit  cri  grêle,  étouffé. 

Se  mêle  aux  rumeurs  de  la  braise. 

Le  grillon  chante.  Il  est  resté. 
Lui  ;  ses  refrains  mélancolique? 
Semblent  au  logis  déserté 
Parler  de  la  félicité 
Sereine  des  soirs  pacifiques. 

Des  soirs  où,  content  comme  un  roi. 
Sur  les  genoux,  à  la  même  heure, 
L'enfant  dormait...  Il  chante,  et  moi 
J'écoute,  et  je  ne  sais  pourquoi, 
Voilà  qu'en  l'écoutant  je  pleure. 


LA    CHAMBRÉE.  227 


Je  songe  à  la  paix  des  grands  bois 
Où  les  heures  fuyaient  si  brèves; 
Je  crois  entendre  encor  les  voix 
Des  joyeux  amis  d'autrefois; 
Et  vers  le  bleu  pays  des  rêves, 

Sur  l'aile  de  ce  lent  refrain. 
Mon  âme  est  comme  soulevée... 
Mais  sur  mon  épaule,  soudain, 
Le  sergent  met  sa  lourde  main  : 
«  Holà  !  grogne-t-il,  en  corvée  !  » 


228  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Coucher   de  soleil. 


UN  calme  soir  d'hiver.  Le  canon  fait  silence. 
Sur  le  couchant  rougi,  les  vieux  arbres  pensifs 
Et  les  toits  des  maisons  forment  de  noirs  massifs 
D'où  le  svelte  clocher  dans  un  ciel  d'or  s'élance. 

Comme  un  chœur  v.iporeux.  de  blanches  visions, 
Un  pâle  et  fin  brouillard  ondule  sur  la  plaine. 
La  cloche  de  Vitry  mêle  au  bruit  de  la  Seine 
Le  clair  et  lent  soupir  de  ses  vibrations. 

Paix  et  sérénité  partout!...  On  pourrait  croire 
Que  rien  ne  s'est  passé  depuis  l'hiver  dernier. 
Alors  que  ce  village  obscur  et  casanier 
Vivait  de  son  travail  et  n'avait  pas  d'histoire. 

Paix  dans  la  plaine  grise  et  paix  aux  cieux  pourprés, 
Partout,  hormis  au  coeur  des  pauvres  camarades 
dui  vont  à  la  tranchée,  et  dont  les  escouades 
S'enfoncent  tout  là-b.»s  dans  la  brume  des  prés. 


LA    CONSIGNE.  229 


La  Consigne. 


LE  caporal,  d'un  air  digne, 
Met  son  homme  en  faction 
Sur  la  Seine  :  «  Attention, 
Dit-il,  voici  la  consigne  : 

«  Les  Prussiens  sont  là...  Morbleu! 

Ouvre  l'œil  ;  vers  la  rivière 

Si  tu  vois  une  lumière, 

Ne  bronche  pas  et  fais  feu  1  » 

Le  caporal  rentre  boire 
Un  doigt  de  rhum  au  gourbi  ; 
Resté  seul,  l'homme  ébaubi 
Fouille  des  yeux  la  nuit  noire. 

Il  est  novice  au  métier. 
Pauvre  garçon  frêle  et  mince, 
Il  enseignait  en  province 
L'algèbre,  l'été  dernier. 


230  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 

Vint  la  guerre...  Adieu,  sciences! 
Bien  qu'il  fût  peu  résolu, 
Comme  un  autre  il  a  voulu 
Marcher...  Mais  quelles  vacances! 

Frissonnant,  ne  bougeant  plur. 
Il  écoute,  plein  d'angoisse... 
Rien,  que  la  bise  qui  froisse 
Les  broussailles  du  talus. 

Ces  soupirs  mélancoliques 
Le  font  glisser,  attendri. 
Dans  un  rêve  tout  fleuri 
De  souvenirs  pacifiques. 

Il  revoit  son  vieux  logis, 
Sa  table  où  sommeille  un  livre, 
Son  fauteuil  aux  clous  de  cuivre, 
Par  l'âtre  flambant  rougis. 

Ses  j-eux  se  ferment.  11  songe 
Qu'auprès  d'un  feu  de  sarment 
Il  ôte  son  fourniment, 
Et  qu'en  son  lit  il  s'allonge... 

Un  bruit  l'éveille...  O  stupeur! 
list-ce  un  révc  ou  la  berlue  ? 
Une  lumière  remue 
A  cent  pas,  dans  h  v.ipeur; 


LA    CONSIGNE.  231 


Errante,  au  bord  de  la  berge 
Elle  jette  un  rayon  bleu... 
«  Allons,  ferme  !...  »  Il  tremble  un  peu 
En  armant  son  fusil  vierge. 

Il  tire...  Grande  rumeur. 
On  accourt,  on  se  démène, 
On  jure...  Lui,  sur  la  Seine 
Montre  l'étrange  lueur... 

A  la  fin,  tout  se  dévoile... 
«  Malheur!  dit  le  caporal, 
Il  a  fait  feu,  l'animal, 
Sur  le  reflet  d'une  étoile  !  » 


232  LE     BLEU     ET    LE    NOIR. 


Parce,   Domine. 


L'ÉGLISE  du  village  est  éclairée  à  peine. 
Les  mobiles  de  Brest  et  ceux  d'Ille-et-Vilaine 
Viennent  à  Y  Angélus  y  prier  en  commun; 
Car  ils  seront  ce  soir  de  grand'gardc,  et  pas  un 
Ne  veut  aller  là-bas  sans  un  bout  de  prière. 
L'aumônier,  né  comme  eux  dans  les  champs  de  bruyère, 
Leur  dit  qu'il  faut  offrir  un  cœur  pur  au  Dieu  fort. 
Et  marcher  en  chrétien  au-devant  de  la  mort. 
Et  pour  donner  encore  aux  paroles  du  prêtre 
Plus  de  solennité,  le  canon  de  Bicétre 
Fait  trembler  par  instants  les  vitraux  de  la  nef... 
Tous  entonnent  alors,  du  soldat  jusqu'au  chef, 
Le  Parce  Domine,  ce  grand  cri  que  l'Eglise 
Jette  en  pleurant  vers  Dieu  dans  les  heures  de  crise. 


LA    DIANE.  235 


«  Épargnez-nous,  Seigneur  !  »  chantent  ces  paysans 

Que  l'aube  reverra  peut-être  agonisants; 

Et  tandis  que  leurs  voix  montent  dans  l'air  humide, 

Il  me  semble,  au  delà  des  cintres  de  l'abside. 

Entendre  les  rumeurs  d'une  foule  à  genoux  : 

Femmes  en  deuil,  enfants  sans  pères,  vieux  époux 

Dont  les  fils  sont  perdus  sous  la  pluie  et  la  neige. 

Laboureurs  qu'on  rançonne  et  bourgeois  qu'on  assiège, 

Toute  la  France  enfin,  lasse,  blessée  au  cœur. 

Et  criant  dans  la  nuit  :  «  Épargnez-nous,  Seigneur!  » 


30 


234  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


La  Diane. 


Ariiorizon  neigeux  et  clair, 
Frileuse  et  p;îlc  sous  son  voile, 
Voici  l'aube  d'un  jour  d'hiver. 

On  voit  fuir  la  dernière  étoile. 
Artilleurs  et  soldats  du  train 
Ont  quitté  leur  tente  de  toile. 

Déj.i  le  café  du  matin, 

Auprès  d'un  graud  feu  qui  s'allume, 

Cuit  dans  les  gamelles  d'étain. 

Un  garde  émerge  de  la  brume. 
Ployé  sous  deux  bidons  pleins  d'eau 
Puisée  à  la  Seine  qui  fume. 

Enveloppés  dans  leur  manteau, 

lît  ciievaucliant  comme  au  manège. 

Deux  canonniers,  sur  un  traîneau, 


LA     DIANE.  255 


Mènent  une  pièce  de  siège; 

L'attelage,  fier  et  puissant, 

Se  détache  en  noir  sur  la  neige. 

Cependant  le  jour  va  croissant  ; 
Dans  l'air  sonore  et  diaphane 
Un  bruit  monte  retentissant. 

Clairons,  tambours  :  c'est  la  diane. 
Sur  les  bivouacs  blancs  de  frimas 
Un  souffle  actif  et  jeune  plane. 

Le  soleil  se  lève  là-bas 
Dans  une  poussière  irisée  ; 
L'azur  a  des  teintes  lilas, 

La  terre  semble  une  épousée... 
Soudain  dans  ce  ciel  virginal 
La  bombe,  comme  une  fusée, 

Fend  de  nouveau  l'air  matinal  ; 
Le  soldat,  farouche  manœuvre, 
Ressaisit  son  outil  brutal, 

Et  la  "Mort  se  remet  à  l'œuvre. 


256  I.E    BLEU     ET    LE     NOIR. 


La   Veillée  de  Nocl. 


LE  froid  pique.  Il  est  nuit.  La  lune  mi-voilée 
Jette  un  pale  rayon  sur  la  Seine  gelée. 
L'arme  au  bras  et  les  doigts  par  la  bise  transis, 
Je  fais  ma  faction  sur  le  bord  du  glacis... 
Pas  un  cri  dans  les  champs  neigeux  où  le  vent  pleure. 
Et  pourtant  c'est  demain  Noël,  et  voici  l'heure 
Où,  dans  les  temps  de  paix  et  de  prospérité, 
C'était  fête  à  l'église  et  fcte  à  la  cité  ; 
Où,  des  villes  aux  bourgs  et  des  bois  aux  prairies, 
L'air  résonnait  du  chant  des  claires  sonneries. 
Pas  un  bruit...  Seul,  là-bas,  par  instants,  un  marin 
Sur  une  canonnière  entonne  un  lent  refrain, 
Rustique  souvenir  de  sa  lande  bretonne... 
Et,  tristement  bercé  par  ce  chant  monotone. 
Je  songe  à  ma  province,  à  mon  petit  pays 
Où  le  Prussien  commande;  aux  foyers  envahis 


LA    VEILLI;E    de    NOËL.  237 

Où  seuls,  traînant  le  sabre  et  portant  haut  la  tête, 

Ce  soir,  dans  nos  maisons,  les  vainqueurs  sont  en  fête. 

Je  vois  mes  vieux  parents  assis  au  coin  du  feu  : 

Près  d'eux  la  table  ronde  et  la  lampe  au  milieu. 

Et  le  souper  servi  qui  fume  sur  la  nappe... 

Le  pain,  des  doigts  tremblants  de  mon  père  s'échappe, 

Et  tandis  qu'au  dehors  le  gros  rire  allemand 

Au  seuil  des  cabarets  retentit  lourdement. 

Ma  mère,  en  entendant  tourbillonner  la  neige, 

Songe  à  son  fils,  perdu  dans  Paris  qu'on  assiège, 

A  l'enfant  que  Noël  ramenait  au  logis... 

Un  nuage  de  pleurs  monte  à  ses  j'eux  rougis, 

Et  du  frugal  souper  chaque  amère  bouchée 

S'attache,  douloureuse,  à  sa  gorge  séchée. 


23S  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


En    montant    ù   Bu  zen  val. 


PREMIÈRE  compagnie,  en  avant!..  '—  Sur  deux  ligne! 
Sac  au  dos,  lentement,  parmi  des  champs  de  vignes. 
Nous  grimpons  vers  le  bois  frissonnant  et  fangeux 
Qui  se  détache  en  noir  sur  un  grand  ciel  neigeux. 
Nous  sommes  tous  peu  faits  à  ce  pas  militaire. 
Et  comme  le  dégel  a  détrempé  la  terre, 
Nous  trébuchons  parfois,  mais  chacun  se  roidit, 
Car  on  entend  le  plomb  siffler,  et  l'on  se  dit 
Qu'il  faut  agir  en  homme  et  montrer  son  courage. 
Pourtant,  quand  les  obus  commencent  leur  tapage, 
Je  me  sens  secoué  par  un  frisson  nerveux  ; 
Et  songeant  que  la  mort  peut  me  prendre,  je  veux 
Avec  recueillement  penser  à  ceux  que  j'aime, 
Et  les  envelopper  dans  un  adieu  suprême... 
Mais  la  marche,  le  sac  trop  lourd,  les  temps  d'arrct. 
Détournent  mon  esprit  ou  le  laissent  distrait. 
Je  ne  suis  travaillé  que  d'une  seule  idée  : 
Tenir  bon,  sans  glisser  dans  la  terre  inondée. 


I 


EN    MONTANT    A    BU  ZEN  VAL.  239 

Pour  avancer,  tandis  que  je  fais  un  effort,  / 

Un  de  mes  compagnons  chancelle  et  tombe  mort.  j 

C'est  le  premier.  La  balle  a  traversé  la  tempe.  / 

Ce  corps,  que  la  pensée  éclairait  de  sa  lampe,  /  . 

S'afïliisse  lourdement  dans  la  boue  et  s'éteint. 

L'agonie  a  déjà  décoloré  son  teint. 

La  bise  matinale  a  parsemé  de  givre  / 

Sa  barbe  aux  fils  soyeux  et  blonds  ;  on  y  peut  suivre 

Le  passage  glacé  de  son  dernier  soupir... 

«  En  avant  !  en  avant  !  »  II  faut  laisser  croupir 

Dans  un  sillon  boueux  le  pauvre  camarade, 

Et  marcher  droit  au  mur  d'où  part  la  fusillade... 

Cependant,  arrivé  près  du  sinistre  bois. 

Je  fais  halte  et  regarde  une  dernière  fois 

Le  jeune  mort  couché  dans  sa  capote  grise. 

Dont  le  drap  léger  flotte  au  souffle  de  la  bise. 


240  LE    BLEU    ET    LE    KOIR. 


Après  la  guerre. 


LE  s  mois  sanglants,  les  sombres  mois 
Sont  passés  ;  l'automne  embaumée 
Est  de  retour,  et  dans  nos  bois 
Nous  revenons,  ma  bien-aimée. 

Entre  les  rameaux  verts  encor 
Rit  un  ciel  doux  comme  la  soie. 
Et  dans  de  chaudes  vapeurs  d'or 
Le  coteau  de  Sèvres  se  noie. 

Par  la  mousse  humide  assourdis. 
Nos  pas  glissent  sous  les  ramures. 
Et  dans  l'herbe,  comme  jadis, 
Nous  glanons  des  châtaignes  mûres. 

Tout  nous  charme  et  nous  réjouit  ; 
Les  bouleaux,  les  fils  de  la  Vierge, 
Le  chardon  qui  s'épanouit, 
Sveltc  et  flamboyant  comme  un  cierge. 


APRES    LA    GUERRE.  24I 

Ce  bois,  par  l'obus  respecté, 
Ce  léger  feuillage  qui  tremble, 
Nous  savourons  la  volupté 
De  nous  y  retrouver  ensemble. 

O  bonheur,  pénétrant  et  doux, 
De  se  serrer  l'un  près  de  l'autre. 
Et  de  se  dire  :  «  C'est  bien  nous  ; 
Ce  chemin  creux,  c'est  bien  le  nôtre  ! 

«  C'est  là  qu'en  mars  nous  venions  voir 
S'ouvrir  les  anémones  blanches; 
C'est  ici  que  luisaient,  le  soir. 
Les  étoiles  parmi  les  branches...  » 

Mais  tandis  que  nous  triomphons, 
Ivres  d'une  extase  égoïste. 
Le  jour  baisse,  les  bois  profonds 
Se  voilent  d'une  brume  triste. 

•Le  vent  d'automne  sur  l'étang 
Fait  frémir  les  joncs  et  les  prèles, 
Et  dans  l'ombre  grise  on  entend 
Comme  un  sourd  frissonnement  d'ailes. 

Bruit  étrange!...  Est-ce  au  vent  du  nord 
Une  feuille  sèche  qui  tombe. 
Ou  la  plainte  d'un  soldat  mort. 
Héros  obscur,  martyr  sans  tombe  ?... 


242  LE    BLEU     ET    LE    NOIR. 

Ce  murmure,  lent  comme  un  glas 
Et  voilé  comme  un  deuil  de  veuve. 
Semble  dire  :  «  N'oubliez  pas, 
Vous  qui  survivez  à  l'épreuve  ! 

«  N'allez  pas  croire  tout  sauvé. 
Dès  que  les  cieux  sont  pacifiques  ; 
Votre  péché  n'est  pas  lavé 
Dans  le  sang  des  morts  héroïques. 

«  En  tombant,  les  morts  ont  payé 
Leur  part  des  communes  faiblesses  ; 
Mais  vous  n'avez  rien  expié, 
Vous,  complices  des  jours  d'ivresses. 

«  Souvenez-vous!...  De  l'aube  au  soir, 
Et  de  l'hiver  sombre  à  l'automne, 
Qjie  leur  spectre,  vêtu  de  noir. 
Vous  harcèle  et  vous  aiguillonne. 

«  Sur  leur  ossuaire  jauni 
Faites  pousser  une  semence 
Meilleure...  Leur  œuvre  est  fini, 
O  vivants,  le  votre  commence!  » 


PRIÈRE   DANS  LES  BOIS 


^^!$^5^éS&c 


Prière  dans  les  bois. 


CE  soir,  je  suis  allé  rêver  dans  le  grand  bois. 
Les  oiseaux  l'emplissaient  de  leur  gaîté  bruj'ante. 
Couronné  de  muguets  comme  aux  jours  d'autrefois, 
Le  printemps  y  menait  sa  fête  verdoyante. 

Et  je  me  suis  laissé  tomber  à  deux  genoux 

Dans  la  mousse,  parmi  les  boutons  près  d'éclore  : 

«  Quand  nous  sommes  en  deuil,  pourquoi  fleurissez-vous, 

O  muguets?  Rossignols,  pourquoi  chanter  encore? 

«  Le  pays  a  perdu  sa  joie  et  sa  fierté. 

Les  Teutons  ont  saigné  la  France  aux  quatre  veines, 

Et  le  peu  de  sang  pur  qui  nous  était  resté, 

Nos  propres  mains  l'ont  fait  ruisseler  par  les  plaines. 

«  Libres  oiseaux,  chantez  pour  les  peuples  heureux, 
L'allégresse  n'a  plus  de  place  en  notre  histoire; 
Notre  orgueil  est  à  terre,  ô  chênes  vigoureux, 
Verdissez  pour  les  fronts  des  peuples  pleins  de  gloire. 


246  LE    BLEU     ET     LE    NOIR. 

«  Avec  votre  gaîté  pourquoi  leurrer  nos  cœurs?... 
Comme  des  histrions  sous  leurs  faux  diadèmes. 
Grimaçant  un  sourire  et  fardant  nos  laideurs, 
Nous  nous  sommes  menti  trop  longtemps  à  nous-mêmes. 

«  Arbres  à  qui  le  vent  livra  plus  d'un  assaut, 
Limpidité  des  eaux  qu'aucun  limon  n'altère. 
Simplicité  des  fleurs,  apprenez-nous  plutôt 
Le  secret  d'être  digne  et  l'art  d'être  sincère! 

«  Mais  surtout,  ô  forêt  !  toi  dont  les  jeunes  voix 
Célèbrent  du  printemps  la  féconde  victoire. 
Apprends-nous,  ombre  aimante  et  profondedesbois, 
Comment  il  faut  aimer  et  comment  il  faut  croire  ! 

«  La  foi  des  anciens  jours,  sous  nos  rires  amers. 
Se  fond  comme  une  perle  au  mordant  des  acides. 
Et  nous  demeurons  seuls,  parmi  nos  champs  déserts. 
Sans  amour  et  sans  dieux,  le  cœur  et  les  mains  vides. 

«  Nous  avons  tout  raillé  :  le  juste  et  l'idéal, 

La  vieillesse  qui  pleure  et  l'enfance  qui  joue  ; 

Nos  idoles  avaient  à  peine  un  piédestal. 

Que  nous  les  renversions  nous-mêmes  dans  la  boue. 

«  Un  soir,  comme  Samson  aux  pieds  de  Dalila, 

Nous  nous  sommes  gaiment  endormis  sur  nos  tâches, 

Et  quand  on  a  crié  :  «  Les  Philistins  sont  là  !  » 

Nos  bras  étaient  sans  force  et  nos  cœurs  étaient  lâches.  » 


PRIÈRE    DANS    LES    BOIS.  247 

J'ai  prosterné  mon  front  dans  l'herbe  du  ravin, 
Et  j'ai  dit  :  «  Toi  qui  fais  vibrer  dans  la  ramure 
Je  ne  sais  quoi  de  tendre  et  de  presque  divin, 
Toi  par  qui  la  fleur  s'ouvre  et  la  brise  murmure, 

«  Puissance  qu'un  grand  voile  enveloppe  à  jamais. 
Source  mystérieuse  où  l'univers  vient  boire, 
Souffle  éternel  qui  va  des  vallons  aux  sommets 
Et  des  cieux  à  la  mer,  Dieu  caché,  fais-nous  croire  ! 

«  Donne-nous,  pour  tenter  notre  suprême  eff"ort, 
Un  peu  de  la  candeur  de  cette  vieille  veuve 
Qui  chemine  là-bas  sous  son  faix  de  bois  mort, 
Et  que  son  chapelet  console  dans  l'épreuve. 

«  Nous  avons  perdu  tout  du  soir  au  lendemain  : 
Nos  provinces,  notre  or  et  le  sang  de  nos  hommes; 
Rends-nous  la  foi,  mets-nous  cette  lampe  à  la  main. 
Pour  sortir  du  marais  ténébreux  où  nous  sommes  ! 

«  Comme  ces  chevaliers  qui  cherchaientleSaint-Grdl 
Hors  des  sentiers  battus  que  le  vulgaire  assiège. 
Pousse-nous  vers  la  cime  ardue  où  l'idéal 
Epanouit  sa  fleur  d'azur  parmi  la  neige... 

«  O  fier  enthousiasme,  essor  des  nobles  cœurs. 
Léger  comme  au  matin  l'alouette  sonore. 
Nous  remporteras-tu  jamais  sur  les  hauteurs  ? 
Ta  chanson  du  réveil,  l'entendrons-nous  encore?') 


248  LE    BLEU    ET    LE    NOIR. 


Tandis  que  je  révais  sous  les  arbres  touffus, 

Le  couchant  s'éteignait,  l'ombre  tombait  plus  ample. 

Les  hêtres  y  noyaient  la  pâleur  de  leurs  fûts. 

Et  la  grande  forêt  paraissait  comme  un  temple. 

Tout  dormait  :  le  grillon  dans  l'herbe,  et  le  linot 
Sous  la  feuille...  Un  soupir  traversa  le  silence; 
Un  étrange  soupir,  triste  comme  un  sanglot 
Et  doux  comme  un  espoir,  jaillit  de  l'ombre  immense. 

Je  quittai  la  forêt  pris  d'un  pieux  frisson. 
Et  de  même  qu'on  voit  surgir  de  blanches  voiles 
Sur  la  lointaine  mer,  je  vis  à  l'horizon 
Monter  dans  le  ciel  pur  les  premières  étoiles. 


Mai  1371. 


TABLE 


LE   CHEMI'K  T>ES   'BOIS 


Pages. 

Dédicace 3 

EN   FORÊT. 

Le  Retour  au  bois 7 

Les  Chercheuses  de  muguet 9 

L'Alouette 12 

La  Chanson  du  vannier 15 

Le  Rossignol iS 

Chant  de  noces  dans  les  bois 22 

Le  Coucou,     .     .     .     i 24 

La  Veillée 27 

La  Plainte  du  bùchetoii      ....           ....  31 

La  Ferme 34 

Le  Charbonnier .  37 

?2 


2<;o  TABLE. 


PAYSAGES  ET  PORTRAITS. 

Pages. 

La  Loire  à  Langeais 45 

Véretz 4) 

Intérieur **7 

Portrait ^'^ 

Le  Grand-père 5^ 

Fleurs  d'automne 54 

Hermann ' 

La  Métairie ° 

Amoroso 

Une  vieille  Fille ^5 

L'Assemblée 

Azay " 

Hélène 7^ 

Champ  de  bataille 75 


LES  ARAIGNÈKS. 

L  Le  Tisserand 79 

H.  —  La  Brodeuse ^^4 


VERONICA. 

Veronica '  " 

Souvenir -^ 

Lied 94 

L'Adieu  aux  bois 9> 


Sylvine 


SYLVINE. 

lOI 


TABLE  251 


LE  'BLEU  ET  LE  'KOI% 

Pages. 


Au    LECTEUR. 


133 


INTÉRIEURS   ET   PAYSAGES. 

La  Grand'tante '57 

Une  Nuit  de  printemps '39 

Neiges  d'antan '''"5 

Veillée  d'automne '4^ 

En  Bretagne ''^ 

I.  _  L'Allée  de  Ploa-ré IS^ 

II.  —  Les  Paysans '54 

III.  —  La  Lande  Saint-Jean.     ......  1)7 

IV.  —  Douamenez '59 

V.  —  Le  Pardon  de  Ker-laz i6i 

VL  —  Le  Vallon  de  Tréboul    .     .     .     .     .     .163 

VII.  —  Toast .  i6s 

Les  Confitures '^7 

Souvenir 9 

In  memoriam •     •  '7^ 

Reposoirs '73 

L'AMOUR  AUX  BOIS. 


Une  Ondine '79 

Mythologie 

Au  Bal '^^ 

Premier  Soleil.     , ^  ■* 


252  TABI.n. 

Pages. 

Désir  d'avril ,     ....  187 

Le  Vin  de  mai 1S9 

Souvenir  du  Bas-Bréau  .     .     . 192 

Joie  de  vivre 193 

Amour  obstiné 198 

Les  Cloches 201 

CHANSONS  RUSTIQUES. 

Le  Vigne  en  fleur 207 

Brunette 209 

Légende 211 

Trimazô 213 

Les  Paysans  dk  l'Argon  ne 217 

AUX  AVANT-rOSlES. 

La  Chambrée 225 

Coucher  du  soleil 22S 

La  Consigne 229 

Parce,  Domine 232 

La  Diane 234 

La  Veillée  de  Nocl •    .     .  236 

En  montant  à  Buzenv.-il 23S 

Après  la  guerre 240 

Prière    dans   les   bois 243 


FIN     DE     LA    TABLE. 


Achevé  d' imprimer 


le  quinze  septembre  mil  huit  cent  soixante -dix -neuf 
PAR    CH.    UN  SINGER 

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PQ 
2/^50 
T2A17 
1879 


Theuriet,  André 
Poésies